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Structure des ménages intergénérationnels accueillant des personnes âgées au Niger

Mahamane IBRAHIMA, Direction de la santé publique de Montréal (Canada), Niger
Jacques LÉGARÉ, Université de Montréal, Canada

Introduction

En Afrique subsaharienne, l’absence d’intérêt pour les personnes âgées s’expliquerait en partie par leur faible poids démographique (United Nations, 2007). Malgré cela, l’effectif des personnes âgées, dont la majorité vit en milieu rural, croît rapidement dans des conditions qui leur sont particulièrement défavorables : une pauvreté persistante, une dégradation du soutien matériel du réseau familial, un accès difficile aux soins de santé, un exode massif des bras valides du milieu rural vers le milieu urbain et des changements dans leurs rôles et statuts (Aboderin, 2005 ; National Research Council, 2006). Malheureusement le débat sur les personnes âgées prenant en charge des enfants orphelins de VIH/SIDA attire plus l’attention des chercheurs, alors que les études sont quasi inexistantes dans les régions les moins affectées.

De manière générale, une étude de la structure des ménages au Niger permettrait de se faire une idée sur les stratégies de survie des personnes âgées et sur certains comportements reproducteurs dont les évolutions font du pays un cas atypique allant à l’encontre de presque toutes les théories : mariages et maternités toujours précoces, engendrant de facto des niveaux toujours élevés de fécondité et de mortalité infantile (Institut National de la Statistique et Macro International Inc., 2007). En effet, conscients de leur vulnérabilité et soucieux d’assurer leurs vieux jours, les individus ont tendance à se marier vite et à faire beaucoup d’enfants en espérant que ceux qui survivront les prendront en charge.

L’absence de connaissances solides sur les personnes âgées en Afrique Subsaharienne s’expliquerait principalement par l’absence de données statistiques fiables et spécifiques aux sujets qui les concernent et par le peu d’intérêt manifesté par les chercheurs et décideurs dans plusieurs pays (National Research Council, 2006). Malgré l’absence d’enquêtes spécifiques, on note l’existence de données très peu exploitées que sont les opérations d’enquêtes démographiques et de santé et les recensements généraux de la population qui permettent d’étudier divers aspects sur les personnes âgées. L’objet de ce chapitre est de faire une représentation schématique de la structure des ménages dans lesquels vivent des personnes âgées en Afrique Subsaharienne en prenant l’exemple du Niger.

Revue de la littérature : caractéristiques des personnes âgées et structure des ménages en Afrique subsaharienne

Une étude réalisée par Hermalin (2002) dans quatre pays d’Asie a montré que la composition des ménages varie selon le pays de résidence, les caractéristiques des personnes âgées et celles des membres de leurs familles. Une autre étude des relations intergénérationnelles dans cette partie du monde a mis en exergue la place de l’enfant adulte dans la cohabitation avec la personne âgée et dans sa prise en charge (Knodel et Ofstedal, 2002).

En Afrique Subsaharienne, les personnes âgées font partie, avec les enfants, des groupes vulnérables. Biologiquement, le processus du vieillissement expose tout individu à un risque élevé de maladies et d’invalidité qui augmente avec l’âge. Ceci est encore plus vrai dans les pays pauvres où une personne âgée se caractérise par un état d’incapacité physique et beaucoup d’ennuis de santé dus principalement à l’absence de moyens adéquats pour la soigner et celle de dispositions formelles de protection sociale pour assurer son bien-être. D’où l’intérêt de connaître la structure des ménages qui les accueillent et/ou leurs liens de parenté avec les membres desdits ménages. L’étude de la relation intergénérationnelle était ancienne même si elle n’entrait pas dans la problématique actuelle de la dégradation de la situation des personnes âgées puisqu’elle portait sur celle de l’ainesse dans les sociétés traditionnelles (Adepoju et Mbugua, 1999). D’ailleurs, toutes les études montraient que le statut et rôle des aînés étaient solides et semblent l’être encore. Dans la dernière décennie, la littérature évoquait l’isolement des personnes âgées (Van der Geest, 2004) et l’augmentation de leurs responsabilités en tant que chefs de ménage. De nos jours, la personne âgée devient chef de ménage dans plusieurs circonstances avec des différences entre le milieu urbain et rural d’une part et entre homme et femme de l’autre. On a d’abord le cas de personnes âgées qui dirigent des ménages de plusieurs personnes dont plusieurs adultes sans emploi et des petits enfants. Il y ensuite celui de personnes âgées chefs de ménage qui se retrouvent, malgré elles, en charge de petits orphelins du VIH/SIDA (United Nations, 2005 ; Velkoff et Kowal, 2006). Le troisième cas est celui de personnes âgées chefs de ménage vivant seules quand elles n’ont ni enfants ni petits enfants et ne pouvant bénéficier de la cohabitation directe d’autres personnes à cause souvent de la dégradation de la solidarité africaine. Le dernier cas est celui de personnes âgées qui ne sont pas chefs de ménage et qui vivent chez un de leurs enfants ou un parent.

Le contraste entre le milieu urbain et le milieu rural est assez marqué en Afrique Subsaharienne. Les études sur les personnes âgées comparant le milieu urbain au milieu rural sont rares en Afrique Subsaharienne, alors que les études spécifiques à chaque milieu de résidence traitent des sujets relativement différents à cause principalement des diversités socioéconomiques et culturelles qui caractérisent chaque milieu de résidence. Mais la complexité des pratiques socioculturelles et des changements non encore identifiés, laisse des doutes sur la situation réelle des personnes âgées dans chaque milieu de résidence.

L’une des particularités de l’Afrique Sub-saharienne est la différence persistante entre homme et femme à tous les âges et dans toutes les dimensions sociales et économiques (Oppong, 2006). De manière générale, les femmes ont une espérance de vie à la naissance plus élevée que les hommes, même si Oppong (2006) ne serait pas surprise de voir l’écart se rétrécir à cause de nombreux avantages sociaux et économiques en faveur des hommes. La grande différence entre hommes et femmes âgés d’Afrique Subsaharienne se situe au niveau du veuvage qui est plus fréquent chez les femmes et qui pourraient entrainer l’isolement (physique ou social) plus marqué chez ces dernières (Oppong, 2006 ; Cattel, 2008). Les femmes âgées ont aussi plus de chances de vivre dans un ménage en l’absence d’un jeune adulte que les hommes âgés dans la plupart des pays en développement (United Nations, 2005).

Dans les contextes traditionnels, l’éducation et la garde des enfants reviennent généralement aux grand-mères selon le principe du placement des enfants. Dans les zones à forte prévalence de VIH/SIDA, la prise en charge des enfants orphelins du VIH/SIDA incomberait aussi aux femmes âgées (Bock et Johnson, 2008). Par ailleurs, certaines études indiquent que les femmes âgées disposeraient de plus de liberté et de pouvoir pour participer à la vie communautaire (Oppong, 2006). En milieu moderne où les femmes adultes sont aussi présentes que les hommes sur le marché du travail, la différence selon le sexe dans la contribution économique et sociale aux âges avancés n’est pas édifiante dans la littérature.

Contexte de l’étude (Niger)

Le Niger est un pays sahélien avec une superficie de 1.267.000 km² dont les trois cinquièmes sont désertiques. L’activité principale est l’agriculture pratiquée au Sud (pendant 3 mois sur 12) et qui nécessite une pluviométrie et une main d’œuvre abondantes. Au Niger, l’exode rural est une stratégie de survie pour les individus, les ménages et les familles des milieux ruraux. Cependant, compte tenu d’une mauvaise saisie du phénomène dans les statistiques administratives et dans les opérations de collecte des données démographiques, les impacts de l’exode rural ne sont pas réellement évalués.

Contrairement à la majorité des pays africains, les indicateurs sociodémographiques ne changent presque pas depuis le début des années 1990 au Niger : mortalité infantile et fécondité toujours parmi les plus élevées et mortalité adulte en très légère baisse (Institut National de la Statistique et Macro International Inc., 2007). Il en résulte alors une population très jeune où on compte près de la moitié âgée de moins de 15 ans et moins de 3% âgées de 65 ans et plus. Selon une étude des Nations Unies (United Nations, 2005), en 1998, le Niger a l’une des plus faibles proportions de personnes âgées de 60 ans et plus vivant seules (3,5%) ou en couple (5,5%) en Afrique Subsaharienne. La même étude confirme la forme tradi¬tionnelle des ménages nigériens car 71% des personnes âgées vivent avec leurs enfants biologiques et 5,5% avec un autre membre de la famille élargie.

Au plan socioéconomique, le Niger est l’un des plus pauvres du monde et connaît une urbanisation encore faible avec un taux d’urbanisation statique, passant seulement de 15 à 16 % entre 1988 et 2001 (Banque Mondiale, 2004). Malgré le contexte de pauvreté et de crise économique, le Niger ne dispose pas de système formel de pension ou de sécurité sociale pour l’ensemble des personnes âgées. Les dispositions qui existent concernent uniquement la pension de retraite basée sur les gains réalisés dans la période active par les anciens salariés qui prennent officiellement leur retraite à 55 ans et qui ne représentent que 1% de la population totale de 55 ans et plus.

Au plan socioculturel, les résultats des deux derniers recensements indiquent que la population nigérienne est en majorité musulmane. On compte neuf grands groupes ethnolinguistiques au Niger qui sont, par ordre alphabétique, les Arabes, les Djerma, les Gourmantché, les Haoussa, les Kanuri, les Mossi, les Peulh, les Toubou et les Touareg. La situation sanitaire actuelle du pays est désastreuse, surtout en milieu rural. Les rares infrastructures existantes se dégradent continuellement, alors que la situation de la pandémie du VIH/SIDA est très mal connue, malgré un faible taux de prévalence.

Au-delà de ces aspects généraux, le Niger présente quelques particularités concernant le mode de vie de personnes âgées. La proportion de personnes âgées de 60 ans et plus vivant avec leurs enfants est restée constante entre 1992 et 1998. Celle des personnes âgées vivant avec leurs petits enfants de moins de 15 ans, en l’absence des parents de ces derniers, a augmenté au cours de la même période (passant de 10,6 à 14%) et se rapproche de la situation observée dans les pays à forte prévalence du VIH/SIDA (United Nations, 2005).

Si le contexte démographique semble favorable à une cohabitation inéluctable entre les générations, les contextes socioéconomique et sanitaire indiquent qu’une personne âgée pourrait rencontrer beaucoup de difficultés pour satisfaire entièrement ses besoins les plus élémentaires et ceux des membres de sa famille au Niger.

Données et méthodologie

Les données utilisées ici sont issues de l’échantillon 1/10ième des ménages du recen-sement général de la population du Niger de 2001. Ces données semblent plus pertinentes pour les études sur les personnes âgées à cause d’un effectif plus important et des caractéristiques plus nombreuses que dans les enquêtes sociodémographiques qui sont le plus souvent spécifiques à des sous-populations. Notre étude étant globalement descriptive, nous retenons l’ensemble des personnes âgées de 55 ans et plus. Au Niger, la faible espérance de vie à la naissance laisserait logiquement penser que la population âgée de 80 ans et plus serait négligeable. Or ici, elle représente plus du dixième (12%) de la population âgée de 55 ans et plus. Nous estimons que la principale cause de cette situation pourrait être le problème de déclaration de l’âge dû au faible niveau d’instruction, à la faible couverture de l’état civil et à des trous de mémoire au niveau des recensés plus âgés comme cela est observé dans presque toute l’Afrique Sub-saharienne.

Pour décrire la structure des ménages accueillant les personnes âgées dans la présente étude, nous décrirons certaines caractéristiques des membres de ces ménages que nous allons croiser avec la variable structure de ménage, tout en portant une attention particulière sur les différences selon le sexe et le milieu de résidence. Pour alléger le document, nous présenterons uniquement les différences significatives et les modèles qui diffèrent beaucoup du modèle global.

Nous examinerons d’abord les caractéristiques de l’ensemble des personnes vivant dans des ménages avec des personnes âgées, ensuite les caractéristiques des personnes âgées de 55 ans et plus et enfin les caractéristiques des enfants et adultes vivant en compagnie des personnes âgées. Mais avant cela nous tentons de définir quelques concepts.

Définitions de quelques concepts

Personne âgée : C’est un concept assez difficile à définir compte tenu de la multitude de facteurs liés à l’image de la personne âgée dans différentes sociétés africaines (National Research Council, 2006). Une personne âgée peut être définie sur la base de trois dimensions : biologique, sociale et fonctionnelle. La définition biologique (ou statistique) est la plus utilisée parce qu’elle permet de procéder plus facilement à des comparaisons. Les Nations Unies considèrent généralement, comme personne âgée, tout individu âgé de 60 ans et plus (United Nations, 2005). Selon Giles et al. (2005), un adulte est tout individu marié qui a au moins un enfant. Dans le cas particulier du Niger, on note que l’espérance de vie à la naissance est encore inférieure à 50 ans et que l’âge légal de la retraite est de 55 ans ou 30 ans de fonction. Aussi, à cause des mariages et maternités précoces, le statut de grand parent (très important socialement) intervient le plus souvent avant l’âge de 50 ans. Les multiples couches et les problèmes de santé vécus entraînent, à leur tour, un vieillissement physique prématuré. Pour toutes ces raisons, nous considérons comme personne âgée, tout individu de 55 ans ou plus pour la présente étude.

Adulte : Les groupes d’âges généralement retenus pour désigner un adulte sont 15-59 ans, 15-64 ans, 20-59 et 18 59 ans. Dans le cadre de la présente étude, nous définissons un adulte comme toute personne âgée de 18 à 54 ans révolus, ainsi que toute personne mariée âgée de moins de 18 ans.

Enfant : Au Niger, la majorité des jeunes âgés de moins de 25 ans restent à la charge de leurs familles (nucléaire ou élargie) ou contribuent directement dans la production en demeurant dans les résidences familiales. Les principales raisons qui pourront éloigner ces jeunes de leurs familles sont le mariage (pour les filles), la scolarité ou une activité professionnelle. Aussi, l’âge de la majorité est fixé légalement à 18 ans au Niger et le mariage offre au jeune un statut social plus significatif que le célibat. Ainsi, pour la présente étude, nous retenons comme enfant ou jeune tout individu non marié âgé de moins de 18 ans, comme l’ont fait Knodel et Ofstedal (2002).

Ménage

Dans la plupart des recensements et enquêtes réalisés dans les pays en développement, le ménage est défini comme l’ensemble de personnes (apparentées ou non) qui vivent habituellement dans un même logement, partagent le même repas, mettent en commun l’ensemble ou une partie de leurs ressources et reconnaissent l’autorité d’une même personne appelée chef de ménage (Noumbissi, 2002). Cette définition a pour objectif de faciliter la comparaison internationale des résultats obtenus. Elle délimite totalement l’environnement physique de chaque individu, mais partiellement son cadre social et économique à cause du manque d’informations détaillées sur les liens entre tous les membres d’un ménage, leurs revenus individuels et leurs contributions au sein du ménage (Randall et al., 2008).

Structure du ménage

La complexité d’une étude sur les personnes âgées apparaît dès qu’il s’agit de comprendre profondément la structure du ménage, les relations et les transferts intra et inter-ménage à cause de la diversité culturelle qui caractérise le concept de ménage dans les sociétés africaines et du fait que la plupart des opérations de collecte existantes ne recueillent que les liens avec le chef de ménage (De Vos et Holden, 1988 ; Towsend et al., 2006 ; Van de Walle, 2006 ; Randall et al., 2008). Pour la présente étude, nous construisons la structure du ménage à partir des individus qui le composent comme nous les avons définis plus haut. C’est ainsi que nous retenons les modalités suivantes pour la structure d’un ménage en général : personne seule, enfants et adultes seulement, personnes âgées et enfants seulement, personnes âgées et adultes seulement, ménage à trois générations. Une personne seule est une personne qui réside seule ou avec d’autres personnes de la même génération. Ainsi, la structure d’un ménage accueillant une personne âgée a quatre modalités : personne âgée seule ou avec d’autres personnes âgées, personne(s) âgée(s) avec enfant(s) seulement, personne(s) âgée(s) avec adulte(s) seulement, ménage à trois générations.

Résultats

Caractéristiques des personnes âgées de 55 ans et plus au Niger

La population âgées de 55 ans et plus ne représente que 6% de la population totale nigérienne. Cette proportion est de 6,2% en milieu rural, 6,1% dans les autres villes du pays et 5% dans la capitale. Plus de la moitié des personnes âgées de 55 ans et plus sont de sexe masculin (52,7%). C’est là un résultat inattendu, mais qui confirme les inquiétudes d’Oppong (2006) sur un risque de surmortalité féminine dans les pays africains pauvres. Ce résultat est observé aussi bien en milieu rural que dans la capitale où les hommes représentent respectivement 53,3% et 53,2% de la population âgée de 55 ans et plus. Dans les autres villes par contre, les femmes représentent 52,3% de cette sous-population.

A travers cette cohabitation, 51,7% des personnes âgées sont chefs des ménages qui les accueillent, montrant ainsi le caractère gérontocratique des ménages nigériens. On compte 20% qui sont des parents biologiques des chefs de ménage et 12% sont leurs conjointes. La différence homme-femme est assez importante ici (Tableau 1, Annexe). Les hommes âgés sont en majorité (85%) chefs de leurs ménages, tandis que les femmes âgées sont principalement mères (33,8%), conjointes (25,4%) et autres parentes des chefs de ménage (16,8%). D’une manière générale, près de 60% des personnes âgées sont chefs de ménage en milieu urbain, contre seulement 50% en milieu rural. Le modèle global et celui chez les hommes âgés est le même quel que soit le milieu de résidence. Chez les femmes par contre, les modèles urbains sont différents de celui du milieu rural. En effet, dans la capitale, les femmes âgées sont d’abord chefs de ménage, puis conjointes et autres parentes des chefs de ménage. Dans les autres villes, le statut de mère vient après celui de chef de ménage et de conjointe. La femme âgée du milieu rural est, par contre, mère, puis conjointe et autre parente du chef de ménage. Le statut de chef de ménage ne lui est accordé que dans un cas sur 10. Ce résultat révèle le faible statut de la femme rurale au Niger en particulier et en Afrique Subsaharienne en général. Aussi, cet écart entre urbain et rural pourrait provenir de la différence entre les deux économies. En milieu rural, la production agricole est faite pour le compte de la famille par tous les membres ; alors qu’en milieu urbain, l’économie dite moderne fait appel à l’effort et au profit individuels avec de plus en plus de femmes sur le marché du travail.

Le mariage étant universel au Niger, on constate que plus de deux tiers (65,9%) des personnes âgées de 55 ans et plus sont mariées (41,1% monogames et 24,8% polygames), 22,2% sont des veuves et seulement 5,4% de divorcées (Tableau 2, Annexe). Notons que la proportion relativement importante de célibataires (6,2%) s’expliquerait par des problèmes d’interprétations des réponses par les enquêteurs qui pourraient considérer les personnes se déclarant non mariées (sans plus de précision) comme des célibataires. La répartition selon le sexe montre que la majorité des hommes âgés (87,7%) sont mariés, tandis que les femmes âgées sont surtout veuves (42,1%) ou mariées (41,6%), à cause principalement de la polygamie et du remariage qui sont socialement plus avantageux pour les hommes et qui font que la femme ne reste pas longtemps dans un statut de divorcée. La situation de la femme âgée nigérienne est encore plus édifiante en ce sens car, selon la coutume ou la religion, il est très souhaitable voire obligatoire, qu’une femme puisse mourir en étant mariée ou veuve plutôt que divorcée. Compte tenu du peu de tolérance sociale envers le divorce, celui-ci est en général vécu différemment que le veuvage. Les situations ci-dessus sont les mêmes quel que soit le milieu de résidence.

Toutes ces caractéristiques des personnes âgées ont des conséquences sur la structure de leur ménage.

L’environnement social direct de la personne âgée au Niger

L’environnement direct de la personne âgée est difficile à cerner avec les données de recensement ou d’autres enquêtes auprès des ménages tant qu’elles ne sont pas spécifiques aux personnes âgées. On sait, en général, que la majorité des personnes âgées vit dans des ménages à trois générations (83,3%), 7% vivent avec des adultes seulement, 5% avec des enfants seulement et 4% vivent seules ou en compagnie d’autres personnes âgées. Mais le plus important est de savoir comment se répartissent hommes et femmes âgées dans chaque type de ménage. Le tableau 3 (en Annexe) montre que les femmes représentent plus de la moitié des personnes âgées vivant seules (58,9%) ou avec des enfants seulement (64,0%). Par ailleurs, elles représentent moins de la moitié dans les ménages avec adulte seulement (48,0%) ou à trois générations (45,5%). Cette situation ramène le débat interminable de l’isolement physique des femmes âgées et du soutien qu’elles apportent aux enfants en Afrique Sub Saharienne, des phénomènes qui ne sont documentés que dans les pays à forte prévalence de VIH/SIDA (United Nations, 2005 ; Velkoff et Kowal, 2006). Comme nous le verrons plus loin, au Niger, les enfants vivant avec des personnes âgées, en l’absence d’adultes, ne sont pas seulement des orphelins. Par conséquent, cette cohabitation répondrait à une pratique socioculturelle ou à une tare due à la définition du ménage qui ne permet pas de saisir les réalités des cohabitations intergénérationnelles (Knodel et Saengtienchai, 1999 ; Noumbissi, 2002 ; Van de Walle, 2006).

La difficulté des ménages en l’absence d’adulte se confirme par la forte représentation de veuves et divorcées qui y vivent (52% dans les ménages à personnes âgées seules et 44% dans les ménages avec enfants seulement). Le modèle reste globalement le même quel que soit le milieu de résidence et il n’y a pas des gros écarts entre les milieux. Par ailleurs les différences sont plus marquées entre les hommes et les femmes (Tableau 4, Annexe), surtout quand la personne âgée n’est pas chef de ménage (résultat non montré). Ainsi, chez les hommes âgés, les mariés et divorcés sont majoritaires quel que soit le type de ménage. Chez les femmes, par contre, les non mariées (veuves et divorcées) représentent plus de la moitié dans les ménages où il n’y a pas d’adultes. Ces ménages, dans lesquels il n’y a pas d’adultes, sont d’ailleurs les plus pauvres quels que soient le sexe et le milieu de résidence. C’est donc sans surprise qu’ils sont réservés principalement aux femmes. Au Niger, les hommes âgés vivent à presque 100% dans des ménages dirigés par les hommes. Quant aux femmes âgées, elles sont majoritaires à vivre dans un ménage féminin pour les ménages sans adultes et minoritaires dans les ménages avec adultes (Tableau 4, annexe).

Caractéristiques des enfants et adultes vivant avec des personnes âgées au Niger

Les enfants qui vivent avec les personnes âgées sont en majorité les enfants biologiques et petits enfants des chefs de ménage ou autres parents des chefs de ménage. Ainsi, si le chef de ménage est une personne âgée, 88,5% des enfants sont ses enfants biologiques ou petits enfants. Quand le chef de ménage est âgé de moins de 55 ans, seuls 70% des enfants sont des enfants du chef de ménage, alors que 17,1% sont d’autres parents du chef de ménage (Tableau 5, annexe). Il n’y a pas de gros écarts entre filles et garçons, encore moins entre le milieu urbain et le milieu rural.

En examinant la structure de ménage et le statut d’orphelin de ces enfants vivant avec des personnes âgées, on constate que 6% sont des orphelins. C’est la même proportion que l’on retrouve parmi les enfants qui vivent dans les ménages à trois générations. Par contre, 23% des enfants vivant dans des ménages sans adultes sont des orphelins (Tableau 6, annexe). La situation diffère selon le sexe, car 24% des garçons contre 21,5% des filles vivant dans des ménages sans adultes sont des orphelins. Cette différence s’observe aussi entre les milieux de résidence par rapport à la proportion des enfants orphelins dans les ménages sans adultes. En effet, c’est en milieu rural que cette proportion est la plus élevée (25%), puis 18% dans les autres villes et moins de 10% dans la capitale. La faible proportion des doubles orphelins dans les ménages sans adultes montre l’importance du placement des enfants dans la société nigérienne. Les données ne nous permettent pas de dire si les parents vivant de ces orphelins résident loin ou à côté. Par conséquent, nous ne pouvons conclure que ces derniers représentent une charge pour les personnes âgées avec lesquelles ils cohabitent.

Compte tenu de la faible scolarisation au Niger, les élèves représentent seulement le quart des enfants de 10 ans et plus vivant dans des ménages dirigés par les personnes âgées (Tableau 7, annexe). Plus de la moitié des garçons (56,4%) travaillent, tandis que les filles sont à 30% des aides familiales (travail non rémunéré), alors que 26,6% sont occupées. Cette caractéristique des enfants varie beaucoup selon le milieu de résidence. En milieu urbain, plus de la moitié des enfants de 10 ans et plus sont des élèves et ceux qui travaillent ne représentent que 15% dans les autres villes et 7% dans la capitale. En milieu rural, par contre, seuls 16% des enfants de 10 ans et plus vont à l’école, tandis que plus de la moitié (52,4%) travaillent pour le compte de leurs familles (65% des garçons et 32% des filles). Près du tiers (32,3%) des filles sont des aides familiales.

Quand on regarde de près les adultes vivant avec les personnes âgées, on constate que plus de la moitié sont des femmes (52% dans les ménages sans enfants et 59% dans des ménages à trois générations). Un examen des liens de parenté avec le chef de ménage montre que près du tiers (32,1%) des adultes sont conjoints des chefs de ménage, 27,2% sont des enfants des chefs de ménage, 14,1% sont d’autres parents des chefs de ménage et 11,5% sont chefs de ménage (Résultats non montrés). La situation varie considérablement selon le sexe. Les hommes adultes sont principalement enfants des chefs de ménage (52,4%) et chefs de ménage (26,6%). Quant aux femmes adultes, elles sont en majorité (54,7%) conjointes des chefs de ménage, puis autres parentes des chefs de ménages (18,8%) et sans lien avec le chef de ménage (11,8%). Il faut noter que moins de 1% des femmes adultes sont chefs de ménage quand elles cohabitent avec des personnes âgées. La situation est globalement la même quel que soit le milieu de résidence sauf que la part des femmes adultes qui sont chefs de ménage est de 2% en milieu urbain (Résultats non montrés).

Discussions et conclusion

La description de la structure des ménages des personnes âgées d’Afrique Sub-saharienne ou de leurs caractéristiques n’est pas chose aisée tant les situations sont assez diversifiées d’un contexte socioculturel et l’autre. Au Niger, la société est gérontocratique, par conséquent la personne âgée occupe une place de choix dans l’échelle familiale et sociale. Toutefois, la jeunesse de la population fait en sorte que le poids démographique de la population âgée est faible. La pratique d’une agriculture traditionnelle, dans ce pays en majorité rural, explique aussi le fait que les ménages accueillant des personnes âgées soient multigénérationnels. La référence aux valeurs traditionnelles dans presque tous les aspects de la vie fait que les grandes différences au niveau des personnes âgées sont liées au genre. On le voit à travers le lien de parenté avec le chef de ménage où les femmes âgées sont généralement mères ou conjointes des chefs de ménage.

Même si les ménages à trois générations sont majoritaires, ce sont les personnes âgées veuves et divorcées qui se retrouvent isolées physiquement ou vivant avec des enfants en l’absence d’un adulte. Toutefois, les hommes âgés non mariés ont plus de chance d’être isolés physiquement que les femmes âgées non mariées (Ibrahima, 2010). A la faveur de la culture, les femmes âgées sont admises dans tous les ménages, alors que les hommes âgés sans conjointes ne peuvent vivre que chez un de leurs fils adultes ou un autre parent de sexe masculin. Les enfants qui cohabitent avec ces personnes âgées sont orphelins dans une proportion non négligeable. Ce qui soulève le débat sur les ménages à générations coupées connu dans les pays à forte prévalence de VIH/SIDA. Au Niger où cette prévalence est faible, la principale raison pourrait être la pratique du placement des enfants. Les principales victimes de la pauvreté sont surtout les femmes qui sont en majorité des veuves et qui ne dirigent pas des ménages, contrairement aux hommes qui sont généralement chefs de ménage et ont des épouses pour leur apporter le soutien nécessaire.

Au Niger, la vie en milieu rural évolue au gré des aléas climatiques (famines, sécheresses, inondations) et de la production agricole. Les valeurs traditionnelles de la famille semblent encore prévaloir dans ce milieu qui offre une place de choix aux aînés qui vivent généralement dans de gros ménages où ils contrôlent la production familiale. En milieu urbain, la vie est fonction de l’évolution des indices socioéconomiques modernes. A cause de la pauvreté et de la crise économique, les jeunes adultes sont en majorité des sans emploi ou font de petits travaux peu rémunérés ; et leur prise en charge est en général assurée par leurs parents âgés. Par conséquent, la structure du ménage en milieu urbain ne serait pas assez différente de celle du ménage en milieu rural. Toutefois, la faible urbanisation du pays, la ruralisation des centres urbains et la diversité culturelle (généralement ethnique) des grandes villes façonnent les stratégies de survie des personnes âgées et des adultes.

L’avantage à tirer de la présente étude est la multitude de possibilités qu’elle offre pour approcher la structure des ménages des personnes âgées et les caractéristiques de ces dernières. Toute action en faveur des personnes âgées ne peut ignorer le lien entre la personne âgée et les membres de son ménage, son statut matrimonial et son sexe. Par contre, la tare de la présente étude provient des données utilisées. En effet, les données de recensement ne nous permettent pas d’établir le lien direct entre la personne âgée et chacun des membres de son ménage, ce qui pourrait être un obstacle dans la mise en place des politiques de prise en charge formelle des personnes âgées.

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Annexe

Tableau 1 : Répartition des personnes âgées de 55 ans et plus selon le lien de parenté avec le chef de ménage, le sexe et le milieu de résidence (%) en 2001 au Niger

Tableau 2 : Répartition des personnes âgées de 55 ans et plus selon le statut matrimonial, le sexe et le milieu de résidence (%) en 2001 au Niger

Tableau 3 : Part des femmes âgées dans chaque type de ménage des personnes âgées au Niger selon le milieu de résidence (%) en 2001 au Niger

Tableau 4 : Répartition des personnes âgées de 55 ans et plus selon la structure de leur ménage, le statut matrimonial et le sexe (%) en 2001 au Niger

Tableau 5 : Répartition des enfants vivant avec des personnes âgées selon le lien de parenté avec le chef de ménage, le sexe et le sexe du chef de ménage (%) en 2001 au Niger

Tableau 6 : Répartition des enfants vivant avec des personnes âgées selon la structure du ménage, le statut d’orphelin, le sexe et le milieu de résidence (%) en 2001 au Niger

Tableau 7 : Répartition des enfants vivant dans des ménages dirigés par une personne âgée selon le statut d’activité, le sexe et le milieu de résidence (%) en 2001 au Niger

VIEILLISSEMENT DE LA POPULATION DANS LES PAYS DU SUD

Famille, conditions de vie, solidarités publiques et privées... État des lieux et perspectives

ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL DE MEKNÈS

Maroc 17-19 mars 2011