Dynamiques périurbaines :
population, habitat et environnement dans les périphéries des grandes métropoles

 

Générations et dynamiques péri-urbaines dans la Région du Grand Accra, Ghana

 

Monique BERTRAND

Université de Caen, CRESO-MRSH (UMR 6590 CNRS),Chercheur associé à l’IRD (UR 013)

 

La Région du Grand Accra compte près de trois millions d’habitants d’après le dernier Census ghanéen de 2000. Pour cerner le fait péri-urbain et le comparer à l’évolution périphérique d’autres grandes villes ouest-africaines, la communication suivante met à profit l’enquête « Housing Practices and Residential Mobility in Greater Accra Region » menée dans la capitale du Ghana en 2000 et 2001 (Monique Bertrand, IRD / University of Ghana, Legon). Celle-ci n’est pas conçue a priori pour traiter des formes de la péri-urbanisation. Mais trois des sept zones d’étude sur lesquelles elle s’appuie illustrent effectivement les dynamiques périphériques qui ont conduit la ville d’Accra à un processus de banlieurisation dès l’indépendance ghanéenne, puis l’agglomération à un processus de métropolisation à l’échelle régionale à partir des années 1980. 

1. J’isolerai d’abord ces trois contextes locaux et les districts dans lesquels ils s’insèrent respectivement au sein des territoires administratifs et des dispositifs de gestion de Greater Accra Metropolitan Area et du Greater Accra Region. Il s’agira donc de montrer les dynamiques d’ensemble de la métropole et de les rapporter aux grilles d’analyse ghanéennes de la différenciation urbaine.

2. Je m’attacherai ensuite à la variété de formes de la péri-urbanisation que manifestent les modes locaux d’insertion foncière et résidentielle. Je confronterai pour cela deux approches scientifiques : une logique de « centre émetteur » d’une part, qui insiste sur l’impulsion d’un mouvement centrifuge d’origine extérieure aux sites de croissance périphérique ; le primat explicatif donné d’autre part aux « lieux récepteurs » de ces dynamiques, qui valorise les effets d’environnement locaux de véritables « milieux incubateurs ». En privilégiant une approche par les conditions d’accueil des migrants et des citadins mobiles dans les terroirs nouvellement urbanisés, on montrera comment ces contextes particuliers illustrent plus généralement un effet de génération dans l’histoire de la ville : le passage d’un urbanisme volontaire à une urbanisation insuffisamment encadrée par les pouvoirs publics. 

3. Au-delà de l’étude de cas qu’elle autorise, l’enquête de terrain sera enfin exploitée pour ses possibilités d’analyse individuelle et biographique. Deux mesures longitudinales de la mobilité résidentielle seront alors valorisées. Le processus de péri-urbanisation sera alors observé dans son articulation à des logiques de centralité urbaine à la fois plus larges et déjà compartimentées dans l’espace régional.

 

1. DYNAMIQUES METROPOLITAINES, CHOIX RAISONNES D’ENQUETE

Les logiques d’ensemble qui président à l’expansion du Grand Accra dans la région capitale relèvent de facteurs démographiques, politiques et socio-économiques. 

1.1. Un gradient centre / périphéries et ses limites

A bien des égards, l’étalement urbain du Grand Accra relève d’un modèle gravitaire de croissance auréolaire perturbé par le site côtier de la ville-centre. C’est donc vers l’intérieur des terres, depuis un chapelet d’établissements de pêche jalonnant le Golfe de Guinée, et vers le nord des domaines coutumiers ga[1], que les périphéries « consomment » aujourd’hui les réserves rurales disponibles. Le front d’urbanisation progresse en tâche d’huile, en percées routières ou sur un mode plus discontinu en dessinant, selon un schéma globalement semi-concentrique, trois cercles d’influence urbaine que le découpage territorial des districts a entérinés au cours des années 1980[2] :

- Ville centre de son agglomération, Accra correspond au District Métropolitain d’Accra, l’un des cinq composant en 2000 la région capitale du Ghana au sud du pays et le long de la côte.

- L’agglomération du Greater Accra Metropolitan Area (GAMA) ajoute à la précédente circonscription les deux districts urbanisés de Tema et Ga. Orienté vers l’Est, le premier apparaît urbanisé dès avant le recensement de 1984, tandis que le second, vers l’Ouest et le Nord, n’est classé comme tel que depuis le recensement suivant de 1990[3].

- la Région du Grand Accra (Greater Accra Region : GAR) ajoute enfin à ces trois districts de la ville-centre et de ses banlieues deux districts encore majoritairement ruraux au recensement de 2000. L’influence métropolitaine s’y manifeste cependant déjà par des flux de navette impliquant des résidents domiciliés en zone rurale mais employés dans les zones d’emplois plus centrales et péri-centrales. De petites villes ou d’anciennes bourgades y offrent de plus, de manière encore discontinue dans l’espace, de réels points d’ancrage pour l’étalement urbain futur.

On ne s’étonnera donc pas : 

- d’une part de trouver vers le nord-est et l’ouest de l’agglomération, et vers le grand nord de la région, les sites retenus comme péri-urbains parmi l’échantillon d’enquête (cf. carte de localisation) ; 

- d’autre part de différencier ces trois sites selon un gradient également générationnel dans l’histoire longue de l’urbanisation régionale. Ashaiman apparaîtra d’abord emblématique de la poussée périphérique qui a marqué les années 1960, même si l’impact de cette poussée orientale se lit aujourd’hui plus au nord de la zone d’enquête. New Gbawe et Dodowa apparaîtront ensuite mieux représentatives des derniers fronts ou enclaves de l’expansion actuelle vers les terroirs encore agricoles de l’Ouest en cours d’urbanisation (District Ga) et vers le Nord encore rural au contact de la région voisine (District Dangbe West jouxtant Eastern Region).

a) Tendances démographiques d’ensemble

Le schéma historique d’Accra est donc simple, ce que traduit l’évolution démographique des cinq districts actuels dans la succession des recensements ghanéens : 

 

Evolution de la population d’Accra et du Grand Accra

 

District/Population

1960 Census

1970 Census

1984 Census

2000 Census

% de population urbaine, 2000

Accra Metropolitan

388 396

636 667

969 195

1 657 856

100

Tema District

27 127

102 431

190 917

511 459

88

Ga District

33 907

66 336

132 786

556 581

73

Total GAMA

449 430

805 434

1 292 898

2 725 896

91

Dangbe West + East Districts

 

 

 

183 747

21

Total GAR

491 817

851 614

1 431 099

2 909 643

88

 

Source : Ghana Statistical Service, août 2000 (résultats provisoires)

 

 

 

Il ressort de cette évolution : 

- le fait que le Grand Accra constitue bien un espace métropolitain composé non seulement d’un grand nombre de localités urbaines mais aussi de niveaux gestionnaires emboîtés selon une hiérarchie administrative assez complexe dans le détail et variable d’un district à l’autre[4] ; l’ensemble reste pourtant mal pourvu d’une autorité décisionnelle cohérente. Par son bourgeonnement et ses multiples remaniements administratifs, ce schéma rappelle celui de Dakar ou d’Abidjan. La capitale sénégalaise est en effet plus petite dans la presqu’île du Cap Vert mais présente des satellites urbains également bien individualisés dans son couloir régional, où l’ancienne commune de Rufisque ne ressemble en rien au vaste agglomérat de banlieue de Pikine ; également lié à un dispositif côtier semi-auréolaire, l’étalement urbain de la capitale ivoirienne est davantage affecté par le fait lagunaire et par l’héritage administratif du dispositif communal.

- La population d’Accra-ville continue de connaître une croissance forte, non infléchie dans la dernière période, contrairement à l’évolution de bien d’autres agglomérations dont le centre se tasse. C’est le signe non pas d’une rétention globale de la population qui se ferait au détriment des développements périphériques, car les districts de banlieue connaissent eux-aussi une accélération de leur rythme de croissance ; mais plutôt d’un manque de perspective de redéploiement pour les plus pauvres de la population citadine qui restent assignés à résidence dans l’habitat de cour dégradé des quartiers urbanisés avant les années 1970.

- L’observation des mutations périphériques est pourtant pleinement justifiée par la comparaison démographique des deux secteurs de banlieue : le District Ga prend le relais des fortes croissances et rattrape en taille celui de Tema, urbanisé plus tôt. Avec notamment plus de 150 000 habitants en 2000, la localité d’Ashaiman dépasse désormais Tema en population (moins de 141 500 habitants) ; ce qui fait de cette « banlieue de banlieue » la cinquième plus grande cité du Ghana devant la « ville nouvelle » de Tema.

Seules quelques nuances perturbent ce schéma somme toute banal d’expansion métropolitaine depuis le Golfe de Guinée : 

- Il s’agit d’abord de l’absence de lien systématique entre centralité et ancienneté du peuplement. En témoigne d’abord le chapelet des sites côtiers de la population ga qui est considérée comme fondatrice du peuplement local et la première réceptrice de l’influence coloniale. La centralité urbaine ne vaut ici que pour quelques-unes de ces « indigenous communities » reprises ensuite dans la trame administrative (Accra Central) et dans le fonctionnement commercial (Osu) du centre-ville ; elle ne joue par contre pas pour les plus excentrés quartiers La, Teshie et Nungua qui contrôlent et compartimentent d’importants domaines fonciers de la ville orientale. Le déphasage historique de l’urbanisation entre la côte et l’intérieur est donc inégalement validé ; inclus dans l’enquête, le vieux site de Teshie se montre notamment récemment phagocyté par la croissance urbaine des années 1980, mais encore peu ouvert à la location.

- L’impact des investissements portuaires et industriels réalisés à l’indépendance ghanéenne suscite une seconde nuance, désormais à l’échelle de l’agglomération. La ville nouvelle de Tema qui en découle définit aujourd’hui une centralité secondaire à une vingtaine de miles à l’est d’Accra. Elle concentre en effet de stratégiques flux de marchandises, un pôle encore fort d’emplois salariés – bien que soumis à de drastiques restructurations économiques –, ainsi que des équipements relativement récents et un parc immobilier de meilleur standing que celui de la ville-centre de l’agglomération. Née du volontarisme public de l’indépendance, sans équivalent à l’ouest et au nord de la capitale, Tema explique largement le décalage chronologique de l’urbanisation entre le District de Tema et le District Ga. 

Un gradient d’urbanisation échelonnée du Sud vers le Nord et un déséquilibre économique entre l’Est et l’Ouest définissent les deux orientations principales de la métropole d’Accra. Le croisement de ces deux dynamiques permet de comprendre pour une bonne part la typologie des espaces urbains centraux, intermédiaires et périphériques qui a orienté le choix des zones d’enquête dans la région capitale du Ghana.

 

b) Grilles d’analyse sociales de la différenciation métropolitaine

 

Au gradient d’ensemble de la population citadine selon un critère d’ancienneté s’ajoutent d’autres contrastes socio-économiques et logiques de différenciation urbaine. Les unes sont particulièrement mises en avant par les chercheurs et urbanistes ghanéens, notamment mes partenaires scientifiques de l’Université du Ghana (Legon)[5] ; les autres relèvent plus généralement des problèmes de logement que suscite le fait urbain dans les pays en développement ; elles apparaissent alors dans la demande internationale d’indicateurs de la pauvreté citadine.

Les Ghanéens pointent d’abord deux critères spécifiques de composition de leur capitale. Certes les dynamiques sociales ainsi pointées caractérisent plus généralement les villes africaines, dont les habitants manifestent d’inégales appartenances de classes et diverses identités ethniques. Mais la mesure de ces variables, leur application à des espaces plutôt qu’à des individus, ainsi que leur utilisation typologique en amont des choix d’échantillonnage de populations à enquêter, soulignent l’originalité du cas anglophone par rapport aux études portant sur les contextes urbains francophones de l’Afrique de l’Ouest.

- La première de ces variables est l’opposition de « communautés indigènes » et de « communautés de migrants ». Les unes détiennent des droits fonciers coutumiers reconnus au plan juridique et se prévalent de légitimités autochtones stratégiques pour l’accès au sol des strates ultérieures de « non-natifs » de la région. Les autres perpétuent sur plusieurs générations un statut d’étrangers en ville ; à moins que certains quartiers ne deviennent avec le temps, par la force des choses, la « hometown »[6] de référence de citadins dont les origines migratoires sont trop lointaines pour qu’ils entretiennent avec l’extérieur les flux de visite, d’investissement matériel et symbolique qu’il conviendrait. De ce point de vue, les modalités de contrôle foncier et d’accès à la terre soulignent de fortes différences entre la situation ghanéenne et celle de ses voisins francophones : ici les initiatives publiques restent limitées au profit de maîtres du sol communautaires ou de collectifs familiaux ; là le domaine éminent de l’Etat et la procédure du lotissement administré restent juridiquement centraux[7].

Cette grille d’analyse de l’urbanisation impose ainsi une nouvelle typologie des quartiers urbains en termes de :

- profils d’autochtonie : nuancés selon que l’on considère les Ga anciennement urbanisés au sud de la capitale ou les Shaï plus récemment soumis à l’influence métropolitaine vers le nord de la région capitale[8] ;

- communautés migrantes : variées selon la durée des présences en ville ; le gradient chronologique (« old migrant versus new migrant communities ») court alors des phases les plus anciennes de migration coloniale à l’extrême fin du 19ème siècle jusqu’à la stabilisation politique du Ghana indépendant sous la quatrième République et depuis les années 1980. 

- La seconde variable définit de même des quartiers « low / middle / high incomes » en amont de l’observation des pratiques de leurs populations. Autant une caractérisation socio-économique aussi franche m’a posé de réels problèmes méthodologiques dans l’étude d’une capitale francophone[9], autant elle est couramment admise dans la recherche et l’expertise ghanéenne. Cela tient sans doute à ses références académiques dans le monde anglo-saxon. Cela reflète en outre le caractère manifestement plus ségrégé du peuplement d’Accra, dans lequel il n’est guère difficile d’isoler de véritables « prototypes » urbains, de quartiers riches comme de zones déshéritées.

 

Quant à l’offre internationale d’indicateurs urbains, elle est clairement orientée vers l’appréciation du rapport numérique entre les citadines propriétaires de leur logement et les autres ou « non-propriétaires ». Une catégorisation aussi grossière conduit à de sérieux biais quant à l’analyse des dynamiques résidentielles[10] : la définition de la propriété est souvent réductrice, alignée sur les critères occidentaux d’individualisation du logement ; elle occulte de plus la variété des modes de tenure et l’impact socio-économique de la location. Ce type de classification reste pourtant déterminant dans la formulation de « diagnostics » localisés et des solutions proposées par les agences de développement et les bailleurs de fonds internationaux dans le cadre de leurs Projets urbains[11].

De la combinaison de toutes ces grilles de composition et de différenciation urbaine découlent finalement assez peu de singularités pour le Grand Accra : sa taille intermédiaire à l’égard de « géants » (Abidjan et surtout Lagos) ou de « nains » (Lomé et Cotonou) voisins sur la côte, son marché foncier héritier du legs colonial britannique, ou encore son dispositif gestionnaire emblématique d’une décentralisation déjà avancée. La banalité ressort davantage du type de variables prises en compte, conduisant à envisager les développements périphériques à l’œuvre dans leurs dimensions tant démographiques, qu’économiques et sociaux. Le fait d’ajouter une problématique environnementale et de multiples considérations sur les risques écologiques de l’étalement urbain ne rend le cas ghanéen pas plus original par rapport à ses homologues ouest-africains dans la dernière décennie jalonnée par « l’effet Rio » et « le rappel de Johannesburg »[12]. Il ressort surtout de cette combinaison des possibilités ramifiées d’esquisser une typologie en propre du contact rural-urbain.

 

1.2. L’enquête et ses modules : contextes locaux, analyse individuelle

Localisation des zones d’étude dans la Région du Grand Accra

 

 

Parmi les sept zones d’étude de l’enquête « Housing Practices and Residential Mobility in the Greater Accra Region, 2000-2001 », trois incarnent les dynamiques de péri-urbanisation au cours d’une première génération (Ashaiman) puis de tendances actuelles (New Gbawe, Dodowa).

Rappelons toutefois que l’enquête vise à la fois : 

- à couvrir les logiques d’ensemble de la métropolisation par une sélection de zones d’études représentatives des principaux types de population dégagés selon les variables présentées plus haut ;  

- à rendre compte sur un mode quasi-monographique d’une donne urbaine fortement contextualisée. Au sein des zones d’étude, les ménages ont été en effet enquêtés selon une technique d’échantillonnage en grappe ; cette méthode avait l’avantage de mettre en relief les conditions locales d’insertion de la population citadine dans un marché foncier et immobilier relativement fragmenté. 

A cet égard, les critères d’accessibilité et de distance aux centres urbains et aux zones d’emploi (contrainte des flux et des embouteillages), l’histoire des modes d’occupation et les modalités de contrôle foncier, ainsi que les principaux types et parcs de logement, ont particulièrement retenu mon attention pour le choix typologique des zones d’enquête. Les résultats de cette perspective, plutôt contextuelle, seront mis à profit dans la partie suivante de la communication. On mettra alors à profit le recul historique donné par les principales phases d’urbanisation et les grandes impulsions de la croissance territoriale pour comprendre la différenciation de deux générations et de trois profils périphériques.

 

Deux modules de l’enquête s’attachent tout particulièrement aux pratiques résidentielles des populations citadines tant du point de vue des ménages (816) que de celui des individus (3 297) qui les composent. Deux types de mesure fondent les perspectives longitudinales de l’analyse :

- Selon un recul biographique, l’enquête s’intéresse ainsi aux principaux jalons de l’insertion des ménages : dans la région urbaine d’abord (pour les migrants ou les natifs « de retour » après une phase d’émigration), mais aussi aux niveaux plus fins du quartier et de la maisonnée d’enquête.

Une sélection de 1 396 adultes permet en outre, à partir de chacun de ces ménages, d’approfondir la question des itinéraires géographiques tracés hors et surtout dans l’espace métropolitain. L’enquête s’appuie alors sur l’inventaire exhaustif de tous les séjours et étapes de logement composant la biographie résidentielle de ces personnes depuis leur naissance.

- A cette méthode rétrospective s’ajoute une mesure longitudinale plus courte puisque les occupants des 232 maisonnées enquêtées ont été suivis à un an d’intervalle. Entre le premier passage d’enquête en 2000 et le second en 2001, le flux d’entrées et de sorties a été désagrégé selon que les déménagements impliquaient des ménages « tout en entier mobiles » ou des individus « circulant » d’un ménage stable à un autre. Le mouvement résidentiel est alors analysé dans ses orientations géographiques, ses motifs et ses perspectives de promotion résidentielle. 

Cette approche en termes d’individus sera valorisée dans la partie finale de la communication. On mettra alors à profit l’ensemble des zones d’étude, pas seulement les trois significatives de la péri-urbanisation, pour comprendre, selon les termes empiriques de la mobilité résidentielle, l’articulation des contextes périphériques aux points forts – centralités – de l’ensemble métropolitain.

2. CONTEXTES LOCAUX ET POLITIQUES URBAINES : DEUX GENERATIONS ET TROIS MODES D’INSERTION PERI-URBAINE  

Les trois zones retenues témoignent d’un changement manifeste d’acteurs et d’impulsion territoriale concernant l’insertion de nouvelles générations citadines en périphérie de l’agglomération d’abord, de la métropole ensuite. A cet égard, le Grand Accra continue d’apparaître relativement banal au regard d’autres cas ouest-africains, bien connus dans la littérature francophone, par la dualité d’approches qu’il suscite des années 1970 aux années 1990. Il fait en effet écho à une opposition plus large, en matière de compréhension des dynamiques périurbaines, entre : 

- une approche en termes d’impulsion donnée « en amont » de ces dynamiques,

- et une approche en termes de répercussion « en aval » de l’onde de choc du peuplement périphérique ; l’analyse se déplace alors vers la question d’une inégale réceptivité locale à ces dynamiques[13].

Dans le cas ghanéen, en réalité, cette dualité d’approche découle de la succession de différentes phases de gestation de la métropole. A l’urbanisme volontaire et à l’impulsion étatique qui marquent la génération de l’indépendance, et sur laquelle se greffe la première périphérie d’Ashaiman, succède le rôle désormais prévalent mais contraint du marché privé de la terre. Les intérêts familiaux et communautaires qui animent ces transactions néo-coutumières apparaissent alors fragmentés dans l’espace ; c’est ce qui permet de comprendre la différenciation des profils de New Gbawe en milieu ga et de Dodowa en milieu shaï.

 

 2.1. Ashaiman : du « double » ouvrier à la banlieue populaire

 

Articulé au bassin d’emploi de Tema mais situé en retrait de la ville de Tema, Ashaiman naît dans les années 1960 comme un véritable sous-produit du volontarisme public de l’indépendance. Sa population a ainsi plus que doublé de 1970 (22 549 habitants) à 1984 (50 918). Car c’est bien un urbanisme d’Etat, héritier du modèle britannique d’après-guerre, qui préside à la naissance, bien à l’est d’Accra, d’infrastructures portuaires jusqu’alors sans équivalent dans la capitale, d’une zone industrielle de grande ampleur, et de la ville nouvelle de Tema. Les unes comme les autres répondent à l’orientation socialiste du gouvernement de Kwame Nkrumah et sont d’emblée placées sous le signe de la modernité : parcs immobiliers neufs, de type flat, programmation inédite des investissements sous le contrôle foncier et gestionnaire de Tema Development Corporation (TDC). L’attraction économique de ce pôle d’activité stimule donc, au nord de Tema, l’implantation durable de la main-d’œuvre ouvrière née de cette « centralité périphérique » à l’échelle de l’agglomération naissante. Composée de migrants extra-régionaux, notamment d’Ewe et d’originaires du Grand Nord ghanéen, la localité d’Ashaiman attire en outre bon nombre de ressortissants des pays sahéliens voisins, et notamment de Voltaïques.

 

 

Elle déborde rapidement le hameau de culture et de peuplement ga qui en constituait le premier noyau, lui-même satellite du contrôle traditionnel de la chefferie de Tema. Signe des temps, celle-ci est elle-même complètement re-localisée par la puissance publique dans l’actuel site de Tema New Town.

 

Ashaiman relève donc d’une impulsion largement extérieure à la donne locale. Les premiers migrants qui s’y installent, et en ont fait aujourd’hui leur hometown, relèvent de l’autorité de TDC et non guère, comme leurs frères d’origine installés à Accra-ville, d’un pouvoir foncier coutumier. Par son caractère d’emblée populaire, cette périphérie lointaine dans l’intérieur des terres s’oppose au meilleur standing de Tema-ville qui profite quant à elle d’une double accessibilité par les voies côtière et « autoroutière ».

 

Ashaiman rappelle cependant un profil d’urbanisation « sous-intégrée » fréquent en Afrique francophone, et fonctionnant en doublon des grands aménagements publics de la même génération. La référence à « l’urbanisme volontaire » de Dakar, auquel répond le « spontanéisme populaire » de Pikine, s’impose ici pour comprendre comment une programmation d’envergure a d’abord orienté l’urbanisation de nouvelles périphéries[14]. A cet égard, Marc Vernière a remarquablement insisté, dans les années 1970, sur le processus d’« haussmannisation »[15] qui présidait à l’explosion d’une lointaine banlieue de la capitale sénégalaise dans la presqu’île du Cap Vert. Car il s’agissait bien alors de refouler les bidonvillois du centre-ville[16] et de canaliser vers une « pseudo-ville nouvelle » de futures strates de migrants venus de l’intérieur du pays. Certes les outils réglementaires de cet urbanisme des indépendances diffèrent fondamentalement, dans ce contexte francophone, de ceux hérités du legs colonial britannique. Certes la greffe populaire de Pikine déborde vite les lotissements tracés à la hâte par les pouvoirs publics et renoue avec le processus d’implantation irrégulière que la ville-centre de Dakar avait déjà suscité dans la génération précédente. Un tel schéma de croissance « spontanée »[17] n’a guère de sens dans le contexte ghanéen ; car la reconnaissance juridique des droits coutumiers, que l’Etat se doit en principe d’indemniser en cas de réquisitions publiques, ne laisse alors aucune place aux transactions foncières « clandestines » ni à de quelconques développements urbains irréguliers.

 

C’est donc le profil d’une greffe populaire qui justifie ici la comparaison d’Ashaiman avec le cas pikinois dans son fonctionnement en tandem économique et résidentiel avec les opportunités portuaires. En rapport avec une phase de grands investissements urbains, on pourrait également évoquer le cas d’Abidjan et de son « double » populaire de Yopougon qui relève, au nord de l’agglomération ivoirienne, d’un même schéma pérennisé sur plusieurs générations, même après que le pôle portuaire ne pourvoit plus suffisamment aux emplois recherchés par les habitants de son satellite laborieux.

 

A Ashaiman comme ailleurs en Afrique francophone, le profil ouvrier se précarise dans les années 1980. La résistance à la crise de restructuration économique transforme la périphérie populaire de Tema en un vaste front d’activités et de consommations informelles. Les marqueurs de cette évolution sont économiques (compression des emplois industriels, ajustement néo-libéral) et morphologiques (absence de voies bitumées de desserte interne jusqu’au milieu des années 1990). Car la « ville » ressemble surtout à un agglomérat d’îlots mal équipés et de cours surchargées. Les locataires s’y entassent désormais selon une logique de rente spéculative qui vient non de la qualité du bâti mais des pratiques de cumuls des bailleurs immobiliers, d’anciens ouvriers devenus propriétaires non-occupants. Les conditions sanitaires ressortent particulièrement précaires du recensement de 1984[18] ; les risques environnementaux croissants[19] traduisent un essor démographique encore rapide et la montée en force de la précarité sociale[20].

 

Si aujourd’hui le profil urbain d’Ashaiman – du moins la zone enquêtée dans la partie méridionale de la localité, la plus anciennement urbanisée – ne relève plus d’un processus de péri-urbanisation, mais plutôt d’un processus de vieillissement[21], il n’en reste pas moins que cette logique de greffe populaire est reconduite plus au nord de la localité. Car la désormais « vieille » banlieue de Tema-ville se trouve débordée par de plus « jeunes » périphéries dans le District de Tema ; elle constitue aujourd’hui le centre de gravité démographique du secteur oriental de l’agglomération et le pivot d’importantes redistributions de population[22].

 

Cette morsure actuellement à œuvre sur les terrains ruraux septentrionaux relève cependant de nouvelles modalités de l’étalement urbain : un développement territorial lié au marché coutumier et aux transactions familiales sur la terre. C’est de moins en moins en référence au contrôle gestionnaire de TDC et de plus en plus en allégeance aux chefferies et aux communautés d’usufruitiers que nombre d’anciens migrants dans la localité, auxquels s’ajoutent de nouveaux investisseurs venus d’Accra, transforment les réserves foncières disponibles en périphérie au profit de besoins résidentiels citadins. L’ancien réceptacle de la « décharge populaire » que constituait Ashaiman dans les années 1960 est bien devenu, une génération plus tard, le centre émetteur de nouveaux flux de citadins mobiles (en quête de cours moins denses) et d’investissements immobiliers (en quête de terrains moins onéreux). Tel est le prolongement logique, dans un contexte économique dégradé, de la banlieurisation progressive du District de Tema depuis l’indépendance.

 

 2.2. Du domaine coutumier ga à la petite ville des collines shai

 

A la logique d’expulsion centrifuge qui prévalait dans l’analyse dakaroise de Marc Vernière, au tandem économique et résidentiel qui a dédoublé la banlieue orientale d’Accra, s’oppose en effet une approche plus environnementale de la péri-urbanisation. L’attention se porte davantage sur la donne locale, incubatrice des dynamiques périphériques, et sur l’opportunité circonstanciée qu’elle offre à des mobilités centrifuges, centripètes et transversales de s’articuler dans l’agglomération. La recherche valorise alors une échelle fine d’analyse et des variables plus précises de contextualisation urbaine. Elle s’intéresse non plus seulement au « forçage » urbanistique, aux pressions du Marché et aux acteurs exogènes pesant sur le contact entre les terrains urbanisés et les terroirs encore disponibles, mais aussi, sur le fond, à la réceptivité propre et inégale des diverses périphéries. L’analyse de pratiques d’acteurs endogènes est décisive dans ce déplacement des perspectives d’étude. Elle met en avant de véritables choix et tactiques, voire stratégies de réponse ou d’anticipation des propriétaires face à demande foncière et résidentielle. Témoignant de telles marges de manœuvre à la périphérie de Lomé, au Togo, Emile Le Bris soulignait ainsi « le rapport complexe qui s’établit entre demandeurs de terrains et communautés villageoises autochtones »[23]. Au Mali, Jean-Marie Gibbal menait dans le même temps une approche comparable du front septentrional de Bamako, ici marqué par l’implantation irrégulière de migrants d’origines rurales[24].

 

L’étude des pratiques résidentielles et foncières de l’Afrique francophone précède ainsi, depuis les années 1980, les priorités environnementales que l’agenda international de recherche confère aujourd’hui, en termes de développement durable, à l’analyse du fait urbain. Dans le contexte ghanéen, on n’est guère étonné de retrouver cette approche contextuelle et la sensibilité écologique qu’elle porte à la fois dans une étude consacrée à la capitale et dans une autre plaçant en perspective le cas de Kumasi, seconde métropole ghanéenne, et d’autres exemples dans les continents en développement[25]. A cet égard, de fortes logiques d’autochtonie ne manquent pas de ressortir du cas d’Accra bien que celui-ci soit plus débordé par ses migrants « étrangers » que la deuxième agglomération du pays. C’est le fait non seulement du dispositif juridique ghanéen qui préserve les droits d’usufruit et de cession communautaire en baux emphytéotiques, mais aussi d’une réelle ré-offensive des pouvoirs coutumiers ga dans la capitale depuis les années 1990[26].

 

Les enquêtes de 2000-2001 attestent ainsi : de l’intronisation de nouveaux chefs dans des quartiers de migrants qui en ignoraient jusque-là l’institution ; de la célébration modernisée du festival annuel « homowo » à Tema New Town ; d’un entrepreneuriat foncier particulièrement actif à New Gbawe ; d’un véritable lobbying politique mis en œuvre dans l’assemblée du District d’Accra par les élites de la communauté de La en faveur de mesures particulières de drainage ; de pressions également menées pour que les crédits de réhabilitation urbaine de la Banque mondiale s’orientent vers le vieux quartier de Teshie ; de mesures d’intimidation menées par les « youth associations » pour que soient préservés les intérêts fonciers des jeunes générations contre les empiètements publics et les attributions administratives de la Lands Commission, à Legon notamment ; de multiples revendications « indigènes » contre les défaillances financières de l’Etat à l’égard de propriétaires coutumiers, en compensation de réquisitions domaniales antérieures ; de refus déguisés de chefferies de communautés rurales du District Ga de céder à de nouvelles demandes publiques de terrains pour l’implantation d’équipements d’envergure métropolitaine, etc...

 

La « complexité » dont faisait plus généralement état Emile Le Bris vient en réalité d’un double changement de conjoncture par rapport à la génération précédente de croissance péri-urbaine. Le changement se lit d’abord dans les politiques urbaines, puisque les pouvoirs publics ghanéens n’ont plus ni les moyens économiques ni l’ambition d’un urbanisme à la mesure des grands équipements de l’indépendance. En matière de reconversion du sol agricole en une rente urbaine, le relais est bel et bien pris par l’offre privée de parcelles à bâtir : les neuf dixièmes des terrains aliénés dans la capitale ghanéenne sont aujourd’hui fournis par les propriétaires – stools, clans et familles – coutumiers[27].

 

La population se redistribue en outre dans l’espace régional, à une échelle désormais métropolitaine, selon une combinaison également complexifiée de flux migratoires et de mobilités résidentielles. Comme le montrent les itinéraires urbains des habitants enquêtés dans les Districts Ga et Dangbe West, convergent vers les périphéries de la ville, de l’agglomération et de la région capitale : 

- un flux « classique » de citadins délaissant les zones congestionnées et dégradées du centre (déclin de la fonction résidentielle au profit d’usages commerciaux, fuite des cours les plus denses par les usufruitiers qui en ont les moyens, recherche de loyers à moindres coûts sur les percées urbaines les plus accessibles) ;

- des mouvements plus divers mais souvent internes aux districts composant le Grand Accra, que l’on verra plus loin.

Quoi qu’il en soit, les approches de la péri-urbanisation privilégient désormais les conditions d’accueil temporaire ou d’insertion durable des étrangers au terroir, au détriment des conditions de leur départ volontaire ou de leur expulsion forcée. Dans cette optique, j’insisterai ici sur le caractère fragmenté de la donne foncière qui singularise les conditions d’accès au sol et au logement en milieu ga et shai. Le front d’influence urbaine prend ainsi des profils différents dans la périphérie directe de l’agglomération et dans une petite ville plus isolée au nord de la région capitale.

 

a) New Gbawe : owners, caretakers, tenants

 

En marge occidentale de la ville d’Accra, dans le District Ga, le domaine coutumier du village de Gbawe engage de très nombreuses transactions foncières qui ont conduit la communauté locale d’environ 800 habitants en 1984 à près de 29 000 en 2000 ! Les initiatives de sa chefferie ne manquent pas en ce sens[28] : contrôle renforcé du quartier satellite de Malam, pourtant plus anciennement urbanisé, requêtes judiciaires menées à grands frais pour l’arbitrages de conflits de limites avec les domaines coutumiers voisins, cessions de terrains menées à grande échelle, selon la procédure des long terme leases (baux emphytéotiques), mais sans plan d’aménagement ni d’orientation des morcellements, redistribution de bénéfices fonciers dans quelques équipements communautaires, tentative de contrôle social des comités locaux de développement au détriment des acteurs plus politiques de l’assemblée de district.

Ce véritable entrepreneuriat foncier conduit d’abord, depuis la fin des années 1980, à un brutal changement de paysage : de vastes espaces de culture, de friches agricoles ou d’extraction de matériaux de construction sont désormais entièrement reconvertis en îlots résidentiels encore plus ou moins en chantier. Le basculement du centre de gravité de la population locale n’est pas moins brusque puisque le vieux village autochtone est aujourd’hui phagocyté par diverses extensions, lesquelles sont massivement investies par des « étrangers » au terroir ga. New Gbawe est donc bien emblématique des fortes dynamiques démographiques qui ont conduit le District Ga à dépasser aujourd’hui, en population globale et en rythme d’accroissement, le District de Tema plus anciennement urbanisé[29].

 

Le classement de ces nouveaux résidents selon la grille internationale d’opposition des propriétaires des non-propriétaires constitue bien le défi de cette progression fulgurante du front occidental de la capitale.

Du côté des formes sociales de la propriété, le modèle du propriétaire individualisé (owner) s’impose au détriment d’une propriété partagée en usufruits de maisons familiales et de biens fonciers hérités en nom commun. Il conduit à banaliser le type architectural des maisons individualisées[30]. Ces maisons d’un seul tenant occupent généralement le centre de la parcelle par opposition au schéma architectural dominant « en ville », mais vieilli, de l’habitat de cour. La tendance admet certes de nombreuses nuances et des formes intermédiaires qui permettent de reconvertir certaines annexes en logements locatifs pour retrouver finalement le caractère évolutif de l’habitat urbain ouest-africain. Elle apparaît cependant déterminante en préfigurant sur le fond un certain avenir métropolitain. Elle confère à la zone une allure de périphérie inachevée, guère aménagée dans sa voirie et encore difficile d’accès. Mais un tel bâti est voué a priori aux classes moyennes. Il témoigne de la quête laborieuse mais finalement réussie d’un terrain.

 

En conséquence, les problèmes environnementaux que subit New Gbawe, bien que réels, ne relèvent pas des mêmes appréciations que celles énoncées plus haut dans le cas d’Ashaiman :

- d’une part parce que la densité résidentielle y est nettement moins forte[31] ;

 

- d’autre part parce que des formes associatives nouvelles émergent de cette « société civile » à niveau scolaire déjà élevé pour promouvoir des solutions locales : creusement de drains pour réorienter l’écoulement des eaux de pluie, introduction de containers pour le dépôt d’ordures ménagères, sensibilisation aux nuisances d’une vaste aire de dépôt d’ordures jouxtant la zone d’étude et de lignes électriques à haute tension la traversant. Ainsi les contextes particuliers de résidence font-ils émerger des pratiques de lobbying que l’on voit s’exprimer au sein des assemblées municipales et des services techniques tant métropolitains que locaux[32].

 

Un des signes les plus marquants de cette relative aisance de la zone d’étude est l’impact des investissements de « Ghanéens de l’extérieur »[33] parmi la nouvelle génération des propriétaires individualisés. Il fait écho à une tendance similaire visible dans les développements orientaux de l’agglomération courrant le long d’axes majeurs entre le centre principal d’Accra et le centre secondaire de Tema (East-Legon au nord de l’autoroute, Spintex Road au sud).

 

Du côté des non-propriétaires, la comparaison des résultats de l’étude de Kate Gough et Paul Yankson, menée au milieu des années 1990, et des miens dans le même secteur d’urbanisation, en 2000-2001, s’est montrée riche d’enseignements. Les premiers auteurs ont pointé l’importance d’un schéma hybride d’occupation résidentielle, ne relevant ni de la propriété ni de la location. Les gardiens des maisons en construction ou achevées mais non encore habitées par leurs propriétaires bénéficiaient plutôt d’un usage « à titre gratuit » (rent-free housing), que d’éventuels liens de parenté entre ces maçons-caretakers et leurs « employeurs » ne pouvaient confondre avec l’usufruit traditionnel. Ici temporaires, ces modes d’occupation du bâti rappelaient en fait la diversité plus générale de tenures résidentielles souvent durables dans la métropole. Ici comme ailleurs, ils obligeaient à dépasser l’opposition réductrice des propriétaires et des locataires.

 

Quelques années plus tard, l’enquête que j’ai menée à New Gbawe souligne l’alignement en un temps record de cette périphérie jeune sur des niveaux élevés d’ouverture locative[34]. L’importance des tenants procède pour partie d’une substitution à la présence des caretakers : soit que les gardiens ont quitté les maisons habitables pour d’autres chantiers à surveiller et à occuper en même temps à titre gratuit ; soit que les propriétaires exigent désormais d’eux qu’ils versent un loyer en paiement de leur logement. Pour partie cette forte progression procède de la densification générale du peuplement au fur et à mesure de l’achèvement relatif des maisons. De nouveaux locataires s’ajoutent alors aux premiers occupants pour dégager la rente susceptible d’être immédiatement réinvestie dans l’achèvement de travaux immobiliers ou dans de nouveaux investissements. Un autre cas de figure, signalé sur le terrain mais non mesuré par l’enquête, est celui de gardiens sous-louant à leur propre compte, et sans en avertir le propriétaire non-résident, une chambre de la maison qu’ils sont censés surveiller à titre gratuit.

La diversification rapide des statuts résidentiels et des flux financiers investis dans le parc neuf des self-contained houses constitue donc une tendance forte de ce deuxième profil de péri-urbanisation voué aux classes moyennes de la capitale.

 

b) Dodowa : une bourgade dans la turbulence régionale

 

Avec une population de 7 319 habitants en 2000, Dodowa apparaît au 230ème rang des localités urbaines du Ghana. Elle constitue dans l’échantillon d’enquête le second point d’accrochage des dynamiques péri-urbaines en cours depuis les années 1990. Alors que la population n’avait que modérément progressé entre 1970 (4 412 habitants) et 1984 (4 733 habitants), sa croissance ultérieure nous situe désormais en marge de la région capitale. Au contact de la région voisine (Eastern Region), Dodowa et le District Dangbe West ouvrent la porte sur l’économie cacaoyère du pays depuis le début du 20ème siècle, et plus largement sur l’hinterland migratoire de la capitale.

 

Le classement des statuts d’occupation des ménages atteste d’un profil d’insertion fort différent du précédent. Ici point de propriétaires individualisés puisque les patrimoines immobiliers – de vastes bâtisses doublement ouvertes sur l’extérieur – sont transmis en usufruits familiaux depuis plusieurs générations. La propriété est donc le fait non d’owners mais de free holders qui ne bénéficient que de droits d’usage sur les chambres de cet habitat de cour. En cela, Dodowa en milieu shai rappelle le cas d’une autre « communauté indigène » enquêtée au sud de la capitale, en milieu ga, et présentant la même prévalence sociale de la propriété en nom commun. Mais contrairement au vieux site côtier de Teshie, Dodowa se distingue par une ouverture locative déjà notable[35]. Contrairement aux autres cas péri-urbains, en outre, cette location n’apparaît qu’en « appoint » de l’occupation des chambres par les usufruitiers, non de manière spéculative comme à Ashaiman (une tendance ancienne) voire à New Gbawe (une évolution récente). Aucune des maisons n’est ici entièrement délaissée par ses propriétaires au profit de la seule location[36]. Le remaniement de leur occupation que laissent voir les deux passages d’enquête signale d’ailleurs un fort turn over des usufruitiers et des locataires. Leur cohabitation dans les cours concerne 57 ménages en 2000, et déjà 86 l’année suivante.

 

Car Dodowa offre à la fois l’attrait banal d’une proximité directe avec les zones de culture et l’avantage particulier d’un statut de petite ville bien dotée en équipements.

- Anciennement dans l’histoire coloniale : c’est l’héritage de l’investissement scolaire que les missions religieuses y ont réalisé depuis le début du siècle, d’un rôle de relais économique aux portes du littoral, sur une vieille voie de transit marchand depuis l’intérieur de la Gold Coast, et enfin de la fonction de siège de la Provincial Council of Chiefs (qui a évolué en Regional House of Chiefs depuis la décolonisation) ;

 

- Plus récemment dans l’histoire ghanéenne : les perspectives de la décentralisation ont conféré à Dodowa des fonctions administratives encore virtuelles (chef-lieu de la région capitale envisagé depuis l’indépendance) ou déjà bien réelles (chef-lieu du District Dangbe West depuis les années 1980) ; 

- Dans la dernière décennie du 20ème siècle, enfin : la réfection de la route régionale reliant Dodowa à Accra confère une bonne accessibilité à cette périphérie lointaine tout en la mettant en lien direct avec les principales localités du front septentrional d’expansion de l’agglomération (Legon, Madina, Adenta).

L’éloignement de la localité et sa connexion au reste des zones d’emploi régionales offrent donc la garantie de loyers à meilleurs coûts et de possibilités nouvelles de navettes journalières pour la fraction des salariés qui travaillent « en ville » plutôt qu’à Dodowa même. Par ce profil d’ouverture locative et de renouvellement accéléré des ménages, la bourgade apparaît ainsi mieux engagée dans l’orbite métropolitaine qu’encore bien des sites méridionaux de peuplement ga.

 

Une telle ouverture ne se comprend d’autre part que par la disponibilité des chambres d’usufruitiers. Le parc des vielles cours est en effet partiellement laissé vacant par la mobilité des gens du terroir eux-mêmes. La seconde spécificité de Dodowa concerne donc la mobilité plutôt sortante de ses natifs, qui s’ajoute à celle plutôt entrante des migrants, et que l’on peut mesurer à plusieurs titres.

- A court terme, autant le flux des ménages que celui des individus place la communauté septentrionale dans les records de mobilité entrante et sortante mesurée entre 2000 et 2001 : Dodowa a ainsi gagné 18 ménages en un an ; 31 % des ménages enquêtés dans la zone se sont révélés mobiles (près de trois fois plus entrants que sortants) ; un tiers de la population n’y a été visitée qu’une seule fois, lors du premier ou du second passage d’enquête[37].

 

- A l’appui des biographies résidentielles reconstituées pour le sous-échantillon des adultes, Dodowa apparaît également en tête des valeurs de mobilité régionale[38] : non seulement par rapport aux trois zones d’étude retenues ici comme péri-urbaines, mais aussi dans l’ensemble des sites pris en compte par l’enquête.

 

Mobilité résidentielle dans le Grand Accra par zone d'enquête

 

Zones d’enquête

Taux de mobilité (% annuel de déménagements dans GAR)

Old Teshie

3,0

Lagos Town

4,5

Old Ashaiman

6,1

New Fadama

9,3

Tema Community V

12,2

New Gbawe

13,5

Upper Dodowa

13,6

Total 

9,1

 

Source : “Housing Practices and Residential Mobility in the Greater Accra Region, 2000-2001” (M. Bertrand, IRD / University of Ghana, Legon)

 

De nouveau la singularité de Dodowa tranche par rapport à l’autre site de peuplement autochtone que compte l’échantillon d’enquête : Teshie se situe dans le record inverse des plus faibles mobilités individuelles. Dans leurs pérégrinations assez agitées dans la région métropolitaine, les habitants actuels de la petite ville ont fait l’expérience d’étapes en moyenne plus courtes et de risques accrus de déménagements. Cette véritable fluidité résidentielle n’est pas seulement le fait des locataires ; comme on l’a vu plus haut en vertu d’une observation annuelle, les usufruitiers shaï eux-mêmes circulent abondamment entre leur communauté d’origine et d’autres places urbaines. Cette mobilité intra-régionale prolonge d’intenses échanges migratoires avec la région voisine. Elle se signale par un argumentaire récurrent : parmi les six classes de motifs au déménagement qu’a dégagées l’enquête, celui du « retour en famille et dans la communauté » est le plus systématiquement associé aux mouvements résidentiels des personnes enquêtées à Dodowa. C’est bien l’indice de flux de sécurité et de « rapatriements » en cas de mauvaises passes conjugales, de déboires professionnels ou encore de conjonctures économiques difficiles.

 

« Back to hometown, to family house » fait alors écho à un autre flux d’importance, inter-régional cette fois, qui marque encore Dodowa sans avoir été comptabilisé dans le tableau précédent. On élargit ainsi la mesure des mouvements à l’ensemble du Ghana et même au-delà des frontières nationales. Les itinéraires reconstitués à partir de la petite ville font état de fréquents lieux de vie dans la Région Orientale, plus particulière dans le District de Suhum Kraboa Coaltar (Eastern Region). Un argumentaire économique et rural prévaut désormais dans les récits justifiant ces lieux de référence. Car les liens entre les ressortissants de Dodowa et les sites de plantation cacaoyère remontent à plusieurs générations de travail et de droits fonciers constitués par-delà la frontière régionale. Ils ont alimenté, au gré du cycle de vie des famille, de persistantes navettes entre les terres shaï et le front agricole pionner de localités telles que Santramazor, Suhum, Akorabo, Mangoase ou Somanya.

 

Par-delà leurs ressemblances dans une conjoncture de désengagement urbanistique des pouvoirs publics, New Gbawe et Dodowa définissent donc des profils différents de péri-urbanisation : 

- quant au niveau socio-économique des étrangers au terroir : cols blancs, entrepreneurs et expatriés en quête de terrains d’un côté, petits employés en quête de bas loyers de l’autre ; 

 

- quant à la dotation en équipements urbains de proximité : récente et insuffisante dans le premier cas, ancienne et déjà diversifiée dans le second ; 

 

- quant aux avantages comparatifs des environnements locaux : logique de disponibilité foncière pour les citadins recherchant l’accès à la propriété aux portes de l’agglomération, ici ; logique de débrouillardise en marge régionale et de disponibilité immobilière, là.

 

Cette dernière génération d’expansion périphérique signale donc d’inégales perspectives de promotion sociale. C’est aussi la conséquence de transactions foncières qui ne sont désormais orientées que par les seuls pouvoirs coutumiers et intérêts privés. Il en découle un réel défaut d’aménagement des zones nouvellement urbanisées, une aggravation des risques écologiques et sanitaires, la fragmentation des profils de cohabitation résidentielle dans l’habitat de cour mais aussi d’autres parcs immobiliers. Alors que New Gbawe témoigne de la réussite sélective d’une minorité de propriétaires accédants, par reconversion des usages fonciers, Dodowa ne montre que des perspectives de survie ou de manœuvres réellement contraintes, laissées à la majorité des citadins pauvres ou paupérisés : l’accueil des locataires dans un bâti déjà existant, contrôlé par des propriétaires en nom commun. Dans le premier cas les propriétaires bénéficient de conditions de logement sensiblement meilleures que dans le reste de l’agglomération ; dans le second cas les bailleurs ne bénéficient pas d’un meilleur standing immobilier que leurs locataires.

Mais surtout, les deux générations et les trois profils ainsi illustrés par Ashaiman, New Gbawe et Dodowa montrent la diffusion particulièrement rapide des pratiques locatives à la périphérie de l’espace urbain. De quoi rappeler sur le fond d’autres exemples ouest-africains[39] et de les distinguer des tendances latino-américaines où le « rattrapage » d’une propriété désormais majoritaire coïncide avec la progression des quartiers irréguliers sur les fronts pionniers des grandes agglomérations.

 

3. MOBILITES PERI-URBAINES, CENTRALITES METROPOLITAINES

 

L’enquête menée sur les pratiques résidentielles des ménages du Grand Accra et de leurs membres ajoute une dimension individuelle à l’analyse de différents contextes locaux. La source commune aux tableaux suivants est donc “Housing Practices and Residential Mobility in the Greater Accra Region, 2000-2001” (M. Bertrand, IRD / University of Ghana, Legon). Elle a pour intérêt d’apporter une mesure de la mobilité et de ses orientations géographiques. Je l’utilise ici pour apprécier les dynamiques péri-urbaines plus finement que ne l’ont permis plus haut d’autres variables « classiques » :

- l’allocation spatiale des grandes masses de population

- l’origine ethnique et migratoire des citadins

- leur appartenance socio-économique

- le statut résidentiel des ménages.

Le questionnement empirique des périphéries urbaines par la mobilité n’est pas si fréquent dans les références bibliographiques disponibles pour l’Afrique de l’Ouest. C’est presque un paradoxe de la recherche puisque le croît démographique de l’« interface rural-urbain » procède précisément, dans un premier temps du moins, d’une dynamique plus migratoire que naturelle. On le pressent de plus à l’observation de nombreux cas : les mouvements résidentiels qui y convergent sont rendus complexes par la variété de leurs orientations spatiales et par l’inégalité des perspectives de promotion sociale, ou de déclassement, qu’ils manifestent.

Or parmi les études environnementales qui fleurissent autour de la question péri-urbaine, peu mesurent les flux pesant aujourd’hui sur les écosystèmes naturels et fragilisant les terroirs ; peu se préoccupent de détailler les parcours résidentiels des futurs usagers et résidents de ces espaces ; peu replacent les mouvements localement observés dans un cadre général et dans les ordres de grandeur de la mobilité métropolitaine. Les limites des données de recensement contribuent pour beaucoup à ces lacunes des connaissances. Mais le prêt-à-penser libéral de la « participation » citadine y contribue également, en faisant peu de cas de la mobilité au profit d’une conception bien naïve de la mobilisation des pauvres.

 

C’est pourtant une approche en termes de flux qui permet d’articuler les deux termes, « en amont » et « en aval », des dynamiques péri-urbaines. Car le mouvement des citadins relie les logiques « émettrices » des zones de départ (impulsions depuis les centres-villes ou les quartiers plus anciennement urbanisés, les autres régions du pays, voire les lieux de migration à l’étranger), et les logiques « réceptrices » des contextes d’arrivée. On se demande en outre si ces cadres d’incubation périphérique ne représentent que des étapes provisoires, en attendant de nouvelles redistributions démographiques et résidentielles, ou bel et bien un point d’ancrage durable faisant structurellement jouer tel ou tel avantage comparatif.

 

Par mobilité, l’enquête entend tout déménagement[40] prenant place au sein de la région capitale, par opposition aux migrations qui sont définies comme les mouvements entrant vers le Grand Accra ou en sortant. Il s’agit donc d’un flux intra-régional, principalement intra-métropolitain. De fait, la mobilité présente des amplitudes spatiales très variables, qui vont d’un changement de district de résidence au simple changement de chambre locative dans la même cour, en passant par des changements de localité ou de quartier au sein d’un même district et des changements de logement au sein d’un même quartier. Cette classification est mise à profit tant pour l’étude des ménages que pour le sous-échantillon des adultes représentant ces ménages. 

 

Les principales conclusions issues de l’enquête sont ici appliquées aux zones d’Ashaiman, de New Gbawe et de Dodowa, selon deux questionnements :

- la caractérisation globale des périphéries en termes de mobilité, par comparaison avec les espaces plus centraux et plus anciennement urbanisés de l’agglomération ;

 

- l’orientation géographique des flux permettant de rapporter chacun des trois contextes péri-urbains à ses « espaces de référence » dans le reste de la métropole.

 

3.1. Sur-mobilité des périphéries

 

On a déjà pressenti le lien entre mobilité et dynamique de peuplement en marge de la ville en travaillant sur le cas de Dodowa. Mais ce lien pouvait apparaître très circonstancié, découlant d’un effet local de frontière au contact des opportunités économiques de la région capitale et de l’arrière-pays cacaoyer. En va-t-il ainsi plus généralement dans l’ensemble des sites péri-urbains ?

 

C’est ce que montre d’abord l’analyse des itinéraires résidentiels des adultes enquêtés dans toutes les zones d’étude, et pas seulement dans les trois secteurs autrefois ou aujourd’hui péri-urbains. En effet, je retiens ici l’ensemble des quartiers et localités énumérées dans la région capitale avant l’installation dans le logement d’enquête. Ces lieux de séjour sont regroupés par district ; du fait d’un faible effectif dans la circonscription de Dangbe East, les lieux des deux districts actuellement encore ruraux sont agrégés dans le même ensemble de Dangbe West :

 

Mobilité et lieux de séjour par district dans la Région du Grand Accra

 

 

 

 

Le taux de mobilité exprime un risque annuel de déménagement calculé d’après la durée des séjours[41]. L’inégale intensité de la mobilité est patente derrière l’opposition deux à deux des quatre districts. La ligne de partage des valeurs ne démarque pas ici l’agglomération de ses marges encore majoritairement rurales. Elle sépare plutôt les lieux anciennement urbanisés (ville-centre et banlieue orientale), qui ont mieux fixé ou ont stabilisé plus longtemps leurs résidents avant que ceux-ci ne s’orientent vers d’autres destinations, des zones plus récemment soumises à l’influence métropolitaine. Les étapes résidentielles relevant des actuels Districts Ga et Dangbe West se révèlent bel et bien les plus agitées dans la région capitale. Se confirment, à cette échelle d’analyse et selon cette mesure rétrospective[42], l’effet de turbulence lié aux périphéries et la sur-mobilité des citadins aujourd’hui arrêtés à l’interface rural-urbain.

 

L’enquête attire toutefois l’attention sur des orientations géographiques plus fines. L’inégale dynamique locale des périphéries prend alors son sens du fait des logiques de centralité auxquelles le front de progression urbaine renvoie dans l’ensemble métropolitain.

 

 

3.2. Les périphéries au regard de « centres de référence » : inégaux effets de proximité dans l’espace métropolitain

 

a) Biographies résidentielles

 

Le suivi longitudinal des membres des ménages rend possible la mesure de ce lien géographique. Les lieux des séjours antérieurs des adultes sont ainsi rapportés aux zones de résidence qu’ils occupaient au moment de l’enquête, au terme « tronqué » de leurs biographies résidentielles. On s’intéresse alors aux logiques spatiales mettant plus particulièrement les zones péri-urbaines en relation avec d’autres zones de départ ou d’étape : au fil des migrations ghanéennes et internationales d’abord, au fil des mobilités intra-métropolitaines ensuite. Pour ce faire, l’étape « finale » des itinéraires, qui marque en fait leur interruption par l’enquête, a été ôtée de l’analyse : seuls les séjours précédents sont pris en considération.

 

 

 

Saisis dans un hinterland migratoire large, les itinéraires ne particularisent guère les trois zones d’enquête péri-urbaines par rapport aux quatre autres. Les deux secteurs étudiés dans le District de Tema sur-présentent certes légèrement les régions ghanéennes « de l’intérieur », au détriment de la région capitale. Mais la nuance découle d’une autre différenciation géographique que celle opposant centres et périphéries de l’agglomération.

 

C’est davantage le recul biographique des étapes situées dans la seule région capitale qui dévoile les orientations plus fines de la mobilité urbaine :

 

Districts des étapes résidentielles dans GAR et zones d’étude

 

Districts d’étapes résidentielles*

Old Teshie/ Accra

Lagos Town/ Accra

New Fadama/ Accra

Tema/

ComtyV/ Tema

Old Ashaiman/ 

Tema

New Gbawe/ Ga

Upper Dodowa/ Dangbe West

Total

Accra

190

201

327

184

33

384

126

1 445

Tema

6

10

16

327

172

24

79

634

Ga

20

4

21

8

4

96

15

168

Dangbe West

2

1

 

2

7

4

307

323

Dangbe East

 

 

 

7

1

2

6

16

Total GAR

218

216

364

528

217

510

533

2586

 

* lieux d’enquête non comptés

 

 

 

Le croisement des lieux d’enquête avec les lieux de séjour antérieurement occupés par l’échantillon d’adulte se révèle ainsi riche d’enseignement dans l’espace métropolitaine : 

- Le rôle redistributeur de la ville-centre est d’abord confirmé non seulement dans ses propres quartiers (les trois premières zones d’étude), mais aussi plus loin dans l’agglomération et vers les marges rurales de la région. La centralité principale du District d’Accra est ainsi mise en évidence. Elle fonde un mouvement centrifuge d’ensemble à l’échelle de la métropole. Elle est en outre décisive pour le croît démographique particulier de New Gbawe.

- Tema ressort également du tableau des mobilités comme un centre émetteur secondaire : non seulement pour les propres quartiers de la ville nouvelle mais aussi pour d’autres communautés plus septentrionales. Ce foyer d’impulsion joue particulièrement vers Ashaiman, mais aussi de manière non négligeable vers Dodowa. Depuis la côte, la polarisation économique et la redistribution résidentielle en jeu apparaissent ici plus localisées à l’échelle des districts orientaux de la région capitale.

Au total, l’effet de centralité se manifeste à « géométrie variable » sur le peuplement des périphéries métropolitaines, selon que l’on considère le foyer principal de la ville ou des pivots secondaires dans l’agglomération.

- Le lien entre le district des zones d’enquête et le district d’appartenance des logements antérieurement occupés est enfin manifeste dans chacune des zones d’enquête. Il ne caractérise donc pas particulièrement les marges de l’agglomération mais apparaît très bien illustré dans la zone de Dodowa. Même celle de New Gbawe, qui comme plus généralement l’ouest du District Ga accueille le front d’étalement urbain le plus dynamique au contact immédiat d’Accra, fait apparaître une « circulation » interne au District Ga. Celle-ci totalise près d’une étape résidentielle sur cinq des itinéraires convergeant vers la zone d’étude. 

Toutefois, l’hypothèse d’une certaine proximité géographique orientant la mobilité métropolitaine va au-delà de la simple « homologie » de district. Elle se précise en effet au niveau plus fin d’analyse des quelques 260 quartiers et localités inventoriés par l’enquête dans GAR. J’ai ainsi retenu les étapes les plus fréquemment citées ; j’ai en outre élargi le croisement des zones d’étude avec l’environnement proche de ces étapes, en retenant par exemple le quartier d’Accra New Town plutôt que le seul secteur de Lagos Town, la ville d’Ashaiman plutôt que ses seuls anciens quartiers du Sud, le tandem Gbawe/New Gbawe plutôt que les seuls récents morcellements du domaine coutumier, etc. « L’enveloppe urbaine » ainsi considérée dépasse le cadre de la simple zone d’étude dans son petit quartier ; elle prend en compte des agrégats plus composites de banlieue. J’ai enfin inversé la requête en cherchant à savoir en rapport avec quelle zone d’étude se trouvaient mentionnés les lieux de séjour les plus fréquemment cités dans les itinéraires des adultes.

 

Secteurs d’étapes résidentielles dans GAR et zones d’étude

 

Etape résidentielle dans GAR (hors lieud’enquête) / lieu d’enquête

Old Teshie

Lagos Town

New Fadama

Tema/

ComtyV

Old Ashaiman

New Gbawe

Upper Dodowa

Total

Teshie

272

1

11

13

0

4

6

307

Accra New Town

0

216

3

6

1

8

1

235

New Fadama

0

0

222

0

0

0

0

222

Tema

1

3

8

376

20

13

41

462

Ashaiman

0

4

1

7

226

1

15

254

Gbawe/New Gbawe

0

0

0

0

0

243

0

243

Dodowa

0

0

0

2

1

2

376

381

Total

273

224

245

404

248

271

439

2104

 

 

A cette échelle d’observation désormais interne aux districts, l’environnement de proximité se révèle décisif pour la familiarisation que les individus entretiennent avec l’espace métropolitain. Le tableau montre de plus que cette proximité oriente leurs déménagements jusqu’à la zone « finale » d’enquête. De ce point de vue, les trois zones péri-urbaines ne dérogent pas à la diagonalisation des résultats, même lorsque, rappelons-le, l’étape d’enquête a été enlevée de l’analyse spatiale des itinéraires. Tout ce passe donc comme si la mobilité métropolitaine procédait par bonds en séries mais chacun de courte portée géographique, en orientant les citadins préférentiellement au sein d’un même district, d’un environnement localisé, d’une même localité, d’un même domaine foncier voire d’un même quartier. Lorsqu’un déménagement se profile, le recours au voisinage ou au réseau social constitué à la faveur d’un séjour plus long ou plus riche d’opportunités urbaines s’impose en effet pour décider de l’étape suivante, du prochain bailleur locatif ou de l’expérience immobilière à venir. A cet égard, la ville nouvelle de Tema semble le mieux redistribuer les citadins qui y ont transité vers plusieurs « compartiments » péri-urbains de la métropole.

 

b) Déménagements à court terme

La seconde option longitudinale de l’enquête est le suivi des maisons visitées et de leurs habitants à la faveur de passages répétés à un an d’intervalle. Elle lève en effet le doute sur l’influence que pourraient avoir des phases trop anciennes de résidence (problèmes de mémoire) et des conjonctures socio-économiques aujourd’hui dépassées sur ce mouvement de courte amplitude géographique vers les périphéries urbaines. Je m’appuie donc ici sur les lieux de destination des individus et des ménages rencontrés lors du premier passage d’enquête en 2000, mais déclarés sortants de l’échantillon lors du passage suivant en 2001. Ces nouvelles orientations des déménagements ne sont pas connues directement auprès des personnes concernées par la mobilité sortante, mais plutôt d’après les informations données par des tiers[43]. Le taux de réponse est cependant assez bon.

- Dans le cas de ménages tout en entier mobiles en 2001, le lieu de sortie correspond à la destination prise par la majorité de leurs membres, même si elle peut ne pas correspondre à la totalité des individus enquêtés dans ces ménages en 2000. C’est de fait rarement le cas que les membres d’un ménage sortant en 2001 se soient dispersés sur plusieurs déménagements.

- Dans le cas de personnes quittant un ménage stable à titre individuel, il n’y a aucune ambiguïté sur le nouveau lieu de résidence, que celui-ci se trouve dans la région capitale ou au-delà.

 

Mobilité des sortants : 2000-2001

 

Destination des sortants 

Ménages

Individus

Accra District

8

41

   Dont résidents Accra District (Teshie, Lagos Town, New Fadama) en 2000

7

27

          Lien Teshie vers Teshie

 

13/14

          Lien Lagos Town vers Lagos Town/Nima

 

5/8

          Lien New Fadama vers Accra-North

 

3/5

Tema District

14

24

   Dont résidents Tema District (Tema ville, Ashaiman) en 2000

14

24

          Lien Tema ville vers Tema ville

3/3

9/13

          lien Ashaiman vers Ashaiman

9/11

11/11

Ga District

13

22

   Dont résidents Ga District (New Gbawe) en 2000

8

19

          lien New Gbawe vers New Gbawe/Gbawe/Malam

6/8

11/11

Dangbe West (et East) Districts

7

12

   Dont résidents Dangbe West District (Dodowa) en 2000

6

9

          lien Dodowa vers Dodowa

 

6/9

Total GAR

42

99

Autres Régions Ghana

8

43

          lien New Gbawe vers Central Region (région frontalière)

2/2

 

          lien Dodowa vers Eastern Region (région frontalière)

4/4

 

Etranger

4

22

          (lien Lagos Town) vers Afrique de l’Ouest musulmane

2/2

2

          lien classes moyennes (Tema, New Gbawe) vers pays du Nord

2/2

15/19

Total hors GAR

12

65

Total sortants localisés

54

164

 

 

A cette échelle de temps courte, les effectifs apparaissent limités puisqu’il ne s’agit plus que d’une seule étape résidentielle par individu ou ménage. Mais c’est bien la région capitale qui reçoit le plus gros du flux que les maisons d’enquête ont émis hors d’elles-mêmes. Par la part relativement modeste du district métropolitain au profit des districts de banlieue et de marge rurale, le mouvement apparaît de nouveau globalement centrifuge ; la population déjà citadine continue de se redistribuer des zones les plus denses vers les secteurs plus récemment urbanisés. Mais au sein de ce flux d’ensemble, les zones de résidence assurent le plus gros des mouvements orientés vers … elles-mêmes ou vers leur proximité immédiate, dans un environnement urbain relevant d’une échelle d’analyse fine.

Ce sont de nouveau des déplacements de courte portée qui se dessinent. Comme si encore la recomposition élargie du Grand Accra vers ses périphéries ne procédait que par à-coups en séries mais de faibles amplitudes géographiques. Le lien tissé globalement entre les centres métropolitains (les bassins d’emplois d’Accra et de Tema) et leurs marges n’exclut donc pas des logiques contextuelles plus étroites, une articulation plus circonstanciée entre lieux de « départ » et points d’« arrivée » des mobilités annuelles.

Ces effets de proximité manifestent surtout la familiarisation fragmentaire que les habitants engagent avec une métropole compartimentée : non seulement dans les trois « cercles » qui la composent (noyau historique, banlieues, périphéries encore rurales), mais encore dans les secteurs internes à ses districts. Car ce sont eux qui constituent les points d’accrochage du front pionnier d’urbanisation d’hier et d’aujourd’hui. En cela, le bourgeonnement résidentiel à l’œuvre à New Gbawe et Dodowa (y compris vers les régions voisines de l’Ouest – Central Region – et du Nord – Eastern Region –), ne fait que prolonger une tendance déjà manifeste, depuis les années 1960, depuis les « centres émetteurs » d’Accra-North et de Tema. De même que s’allonge le rayon des navettes domicile-travail, s’élargit aussi l’aire d’influence de la métropole que dessinent les déménagements des bordures urbaines vers une interface toujours plus lointaine. 

Mais les circonstances de détail et les orientations précises de ces flux relèvent d’une donne toujours locale : la distance à une offre d’emplois désormais très informelle (Ashaiman), la disponibilité de terrains et de parcs immobiliers neufs (New Gbawe), la redistribution de droits d’usage entre locataires et usufruitiers d’anciennes maisons familiales (Dodowa).

Avec les ordres de grandeur du précédent tableau, on peut difficilement raisonner avec certitude sur les motifs de sorties qui accompagnent les filières reconstituées entre les zones d’enquête et un nouveau logement dans la proximité. La mobilité sortante amorcée depuis les trois zones d’enquête illustrant la péri-urbanisation indique cependant qu’un type d’explication est fréquemment associé à chacun de ces sites en propre :

- Dans les déménagements observés en 2001 depuis Old Ashaiman vers Ashaiman, le motif de sortie fait principalement référence aux tensions du marché immobilier (“found a better accommodation closer to his workplace” / “moved with children, grandchildren and househelps to a new house with two rooms”), notamment aux opportunités et aux difficultés locatives (“the room was too small for the family; they have gone to rent a bigger hall and chamber” / “they could not pay new rent advance and landlord has sacked them; so they are now staying with friend”).

- Dans les déménagements observés depuis Upper Dodowa vers Dodowa, les explications données aux sorties se situent sur un registre plus familial : arrangements résidentiels liés aux mariages (“got married to a man and gone to stay with him” / “got married and living with his wife in the same house”), aux divorces (“left old husband’s house to her new husband's household”), ou encore à la redistribution des droits d’usufruits après décès et héritage (“gone to stay with her aunt because the grandfather is dead”).

- Dans les déménagements observés depuis New Gbawe vers le secteur de Gbawe, New Gbawe et Malam, les motifs apparaissent enfin plus composites. Les possibilités nouvelles de rendre le logement plus indépendant (“gone to live in his own house with the family” / “always quarrel over water and electricity bills with landlady so moved to another rented place” / “was formerly a temporary free holder and have now got a room to hire with the whole family” / “left on his own to start a new life and make up his future”) n’excluent pas en effet de fréquentes références aux soutiens familiaux (“is staying with senior sister to help her and is schooling” / “gone to stay with mother to learn a trade”

 

Conclusion

L’insertion dans les périphéries métropolitaines relève donc à la fois de logiques locales de terroir et de logiques métropolitaines de flux. Ces dernières redistribuent ménages et individus non seulement à l’échelle globale de l’agglomération, en lien avec ses centres principaux ou secondaires d’emplois, mais aussi selon une territorialité plus compartimentée dans chacun des districts de la région capitale. Il s’agit bien du prolongement de tendances plus anciennes, nées avec la banlieue d’Accra dans les années 1960. Cela justifie que l’on ait illustré le processus de péri-urbanisation d’abord avec le profil d’Ashaiman puis avec ceux de nouveaux points d’accrochage démographique et résidentiel.

Faut-il alors voir dans cette succession de deux générations un modèle plus général de vieillissement des périphéries anciennes au profit de nouveaux types de peuplement du contact rural-urbain (le Nord d’Ashaiman, le « new » Gbawe, le Dodowa rendu disponible par la mobilité des usufruitiers) ? Il ne s’agit pas seulement, en réalité, d’un effet de cycle urbain. Car des changements de nature historique se sont également produits à l’aube des années 1990, dans la transition de l’agglomération à la métropole :

- la densification extrême de la ville des pauvres, la saturation des cours de propriétaires paupérisés, l’entassement des locataires soumis à un régime de rent advance de plusieurs années : ils font cohabiter des locataires devenus majoritaires et des usufruitiers qui ne sont guère mieux logés que leurs voisins ;

- la substitution d’un schéma d’étalement urbain fondé sur le marché foncier coutumier au modèle d’urbanisme qui avait prévalu à Tema, relevant de la planification et de grands aménagements publics (port, production immobilière, gestion foncière para-étatique, infrastructure routière) ;

- l’accroissement structurel de la mobilité résidentielle dans la région capitale[44] ; son orientation « en sauts de puce » du fait d’une familiarité de proximité avec l’espace urbain.

Le cas d’Accra a de plus permis de faire jouer de nécessaires comparaisons avec les dynamiques péri-urbaines d’autres capitales d’Afrique de l’Ouest. Il signale les singularités fortes d’un contexte anglophone au regard de ses voisins francophones, notamment quand il s’agit de reconnaître les droits fonciers coutumiers. Mais il manifeste des similitudes de problèmes et d’approches non moins intéressantes dans les différentes phases de développement périphérique.

- Les points communs portent d’abord sur la gestation historique des banlieues : partout l’on assiste au désengagement des acteurs étatiques ou para-publics en matière d’investissement urbain. Plus généralement, l’urbanisme réglementaire s’estompe au profit d’acteurs privés agissant souvent sans contrôle ni régulation : vendeurs atomisés sur le marché des transactions foncières ghanéennes, bailleurs de fonds internationaux des opérations de réhabilitation urbaine, nouveaux opérateurs des équipements et des gestions de proximité, entrepreneuriat immobilier ou bancaire sollicité pour prendre le relais des parcs et agents immobiliers para-étatiques. Dans tous les cas, cette tendance générale n’est pas sans menacer l’interface rural-urbain, dont les approches les plus récentes soulignent les dangers sanitaires et les risques écologiques accrus.

- D’autres similitudes engagent l’évolution des recherches menées pour appréhender le centre névralgique des dynamiques péri-urbaines : dans un cas l’accent est mis « en amont » sur les impulsions majeures susceptibles d’amorcer une onde de choc centrifuge ; dans un autre l’accent est mis « en aval » sur le récepteur, soit le contexte local justifiant d’inégales réactions. Quant à l’approche environnementale, elle prend aujourd’hui le relais méthodologique en insistant sur les risques, autant que sur les opportunités, du contact écologique et social que représente la périphérie urbaine face aux terroirs.

De cette confrontation d’approches, à laquelle la communication a ajouté le suivi longitudinal de citadins mobiles, la métropole ghanéenne ressort à la fois simple et complexe : 

- simple puisque populations et parcs immobiliers se redéploient selon un modèle gravitaire et selon un schéma semi-concentrique assez courant : du centre aux périphéries orientales, septentrionales et occidentales de l’agglomération puis de la région urbaine ;

- complexe parce cette recomposition d’ensemble prend une tournure fragmentée dès lors qu’on ajoute d’autres variables, sociales, économiques et géographiques, à la simple donne démographique. C’est en effet à une échelle territoriale fine, que les communautés et leurs domaines fonciers orientent l’insertion de plusieurs générations de migrants ; que la cohabitation des « étrangers » et des « natifs » du terroir prend des formes particulières et durables.


 


[1]Groupe ethnique fondateur des sites de pêche et détenteur des droits fonciers « autochtones » depuis le 18ème siècle.

[2] Du fait d’un léger remodelage administratif, postérieur à l’enquête de terrain en 2004, le district Ga a été divisé en deux nouvelles circonscriptions de base.

[3]En 1984, ses localités relèvent encore d’un Local Council ou circonscription administrative à majorité rurale.

[4]L’assemblée de district d’Accra est relayée par des « sub-metro assemblies », tandis que la municipalité de Tema-ville s’ajoute à une instance « zonale » de décentralisation dans le reste du district oriental.

[5] TOWN AND COUNTRY PLANNING DEPARTMENT, ACCRA PLANNING AND DEVELOPMENT PROGRAMME, 1990 July, Demographic Studies and Final Projections for Accra Metropolitan Area (AMA). Final Report, Legon, Government of the Republic of Ghana, Ministry of Local Government, United Nations Development Programme, United Nations Centre for Human Settlements, University of Ghana (Legon), Department of Geography and Resource Development, 216 p.

[6]Communauté d’origine.

[7]BERTRAND M., 2004, “Land anagement and urban development projects. A comparison of experiences in French-speaking and English-speaking West Africa”, International Development Planning Review, Vol. 26, N° 1, pp. 83-96.

[8]Relevant du même groupe linguistique Ga-Adangbe, et contrairement aux populations Akan du centre et du sud du Ghana, les deux sociétés se fondent sur une dominante patrilinéaire. Mais la première applique encore la règle d’une résidence séparée des conjoints tandis que la seconde définit traditionnellement un mode de résidence virilocale.

[9]Je fais ici référence à l’enquête résidentielle que j’ai menée à Bamako en 1993 et 1994 : difficulté à saisir les revenus des ménages à partir du profil de formation et d’emploi de leur seule personne de référence, caractère inadapté des nomenclatures du travail face à l’impact du « secteur informel » fourre-tout, précarisation de l’emploi salarié, différenciation urbaine très relative jusqu’au milieu des années 1990.

[10]RAKODI C., 1995, “Rental Tenure in the Cities of Developing Countries”, Urban Studies, Vol. 32, N° 4-5, pp. 791-811.

[11]BERTRAND M., 2003, « Du logement à la ville : nouvel agenda urbain et questionnements scientifiques », Autrepart (Dynamiques résidentielles dans les villes du Sud), n° 25, pp. 5-19.

[12]ADELL G., 1999, “Theories and Models of t1he Peri-urban Interface: A Changing Conceptual Landscape”, Strategic Environmental Planning and Management for the Peri-urban Interface Research Project, London University College, The Development Planning Unit, 45 p.  

[13]Comme le montre une étude comparative portant sur quatre sites péri-urbains de la capitale ghanéenne : GOUGH K.V., YANKSON P.W.K., 1997, Continuity and change: socio-economic and environmental consequences of urban growth in the peri-urban area of Accra, Ghana, Final report to the Danish Council for Development Research, 88 p.

[14]VERNIERE M., 1977, Dakar et son double Dagoudane Pikine. Volontarisme d’Etat et spontanéisme populaire dans l’urbanisation du tiers-monde. Formation et évolution des banlieues dakaroises, Paris, Bibliothèque Nationale (Comité des travaux historiques et scientifiques), 278 p.

[15]VERNIERE M., 1977, « Les oubliés de l’"haussmannisation" dakaroise : crise du logement populaire et exploitation rationnelle des locataires », L’Espace géographique, vol. 6, n° 1, pp. 2-23.

[16]Ce qui rappelle la politique de « resettlement » pratiquée notamment sous le régime nkrumahiste dans les années 1960. Marquant la périphérie d’Accra-ville à cette époque, la zone d’enquête de New Fadama relève d’une telle re-localisation forcée des habitants d’un ancien Fadama à partir d’un site inondable du centre-ville.

[17]Dès les années 1980, non seulement la banlieue de Pikine comporte plus d’habitants que la ville-centre de l’agglomération, mais la composante irrégulière de Pikine l’emporte également en nombre sur la composante lotie.

[18]D’après l’enquête de 2000, 96 % des ménages visités à Ashaiman n’avaient de recours que les « toilettes publiques » extérieures à leur domicile. Ils partageaient ce record avec les ménages de Dodowa, contre une moyenne de 54 % des ménages pour l’ensemble des zones d’étude et l’un des minima rencontré à New Gbawe (3 % des ménages recourant aux toilettes publiques).

[19]Parmi ceux observés au moment de l’enquête : transactions foncières désormais clandestines et débordant sur une zone inondable, constructions prenant appui sur des dépôts d’ordure, multiplications de petites activités fortement polluantes, de toilettes privées dont les excrétas ne sont évacuées que dans les rigoles à ciel ouvert, parcs à bétail aménagés dans la promiscuité résidentielle…

[20]L’enquête résidentielle comporte un module d’analyse des représentations positives et négatives liées d’une part aux zones d’enquête, d’autre part aux autres quartiers ou localités de la région capitale dans lesquels les adultes enquêtés dans les ménages ont déclaré vouloir ou ne pas vouloir résider. Sept registres discursifs ont été extraits de ces réponses qualitatives. Parmi ceux-ci, la stigmatisation des « classes laborieuses » comme « classes dangereuses » est précisément liée au cas d’Ashaiman par les non-résidents de la localité : aux termes et associations de mots évoquant les nuisances associées aux fortes densités résidentielles et locatives – promiscuité, bruit, mauvaises odeurs, survie –, s’ajoute un vocabulaire soulignant le problème du vol et d’une délinquance déjà armée.

[21]Les termes de ce vieillissement sont bien montrés par l’enquête de 2000-2001 : paupérisation des propriétaires occupants, reproduction du schéma d’entassement locatif plus au nord de la ville, avec désormais des marges de manœuvres néo-coutumières croissantes dans les transactions foncières, dégradation très nette des rapports des locataires avec leurs bailleurs, surenchère d’expulsions liées à l’insolvabilité des plus pauvres.

[22]Fait significatif bien montré par le dernier recensement de 2000, Ashaiman a dépassé Tema-ville au cinquième rang des plus grandes villes ghanéennes, alors qu’elle apparaissait encore derrière son pôle urbain de référence dans le recensement précédent de 1984.

[23]LE BRIS E., 1987, « Usages d’espaces et dynamiques du front d’urbanisation dans les quartiers périphériques de Lomé », in E. Le Bris, A. Marie, A. Osmont, A. Sinou, Famille et résidence dans les villes africaines. Dakar, Bamako, Saint-Louis, Lomé, Paris, L’Harmattan (Villes et Entreprises), pp. 13-70 (p. 50).

[24]GIBBAL J.-M., 1988, « Fadjiguila, village dans la ville », Cahiers des Sciences humaines, vol. 24, n° 2, pp. 317-325.

[25]Gough et Yangson, 1997, op. cit. ; ALLEN A., DA SILVA N.L.A. and CORUBOLO  E., 1999, “Environmental Problems and Opportunities of the Peri-urban Interface and their Impact Upon the Poor”, Strategic Environmental Planning and Management for the Peri-urban Interface Research Project, London University College, The Development Planning Unit, 46 p. ; BROOK R., DAVILA J.D., 2000, The Peri-urban Interface: a Tale of Two Cities, Hubli-Dharwar, School of Agricultural and Forest Sciences, University of Wales and The Development Planning Unit, University College London, 251 p.

[26]BERTRAND M., 2002, « Profils du leadership local au Ghana : conflits et fragmentation urbaine dans la métropole du Grand Accra », Autrepart, n° 21, pp. 135-149.

[27]ACCRA PLANNING AND DEVELOPMENT PROGRAMME, 1992, “Strategic Plan for the Greater Accra Metropolitan Area. Volume 1: Context Report”, Accra, Ministry of Local Government, Town and Country Planning Department, United Nations Development Programme, United Nations Centre for Human Settlements, 202 p.

[28]BERTRAND M., 2002, « Gestion foncière et logique de projet urbain : expériences comparées en Afrique occidentale, francophone et anglophone », Historiens & Géographes, n° 379, pp. 77-90.

[29]Ce schéma d’urbanisation rapide, illustré par New Gbawe dans le District Ga, trouve pourtant de réels équivalents dans le District de Tema, notamment le long de la Spintex Road. Un développement plus tentaculaire s’y réalise cependant sous l’influence de promoteurs immobiliers privés qui se voient aliéner des terrains relevant encore pour partie de l’autorité de TDC.

[30]Self contained houses : l’équivalent des « villas » de plein pied de l’Afrique francophone.

[31]On la mesure dans l’enquête non en effectif de population à l’hectare mais en charge de ménages et de personnes par maisonnée visitée : respectivement 2 et 9 pour la moyenne de New Gbawe en 2000, contre plus de 3 et plus de 12 pour la moyenne d’étude, et 9 et 32 pour Ashaiman, l’un des records de densité de l’échantillon d’enquête.

[32]Pour une étude des nouvelles associations de résidents, voir GOUGH K., 1998, “The changing role and nature of urban governance in peri-urban Accra”, Paper presented at Nordic Africa Institute Conference “Associational Life in African Cities: Urban Governance in an Era of Change”, Bergen, 28-30 August 1998, 17 p.

[33]L’ampleur de la diaspora ghanéenne à l’étranger est un fait déjà ancien et bien informé dans la littérature académique : tant pour sa composante populaire et les risques de refoulement qu’elle subit notamment en Afrique de l’Ouest, que pour sa composante plus élitaire et son orientation vers les pays du Nord, européens et nord-américain.

[34]49,5 % des ménages enquêtés en 2000. Tendance confirmée par un follow-up récemment mené par K. Gough et P. Yankson sur leur propre terrain d’étude.

[35]Un ménage sur quatre à chaque passage d’enquête, contre moins d’un sur dix à Teshie ; un ménage sur trois si l’on prend en compte le flux résidentiel des entrants et des sortants dans l’échantillon de Dodowa.

[36]En 2000 et plus encore en 2001, la majorité des ménages de Dodowa – 56 % puis 72 % – cohabitent dans l’habitat de cour selon un profil associant usufruitier(s) et locataire(s). Dans l’échantillon d’enquête, ce type de cohabitation résidentielle est d’ailleurs largement lié, pour plus d’un tiers des cas, à la zone d’étude de Dodowa.

[37]En février 2003, un dernier passage à Dodowa a montré le devenir résidentiel des ménages que l’on avait trouvés nouvellement installés entre le passage d’enquête de 2000 et celui de 2001. Près de deux ans après leur installation, moins de la moitié de ces ménages résidaient toujours dans les mêmes maisons. Une petite majorité avait déménagé, principalement du fait de navettes avec les zones de culture de la Région Orientale pour les usufruitiers, mais aussi par recherche de meilleurs logements, toujours à Dodowa, pour les locataires. Quelques ménages restaient enfin les usufruitiers des cours enquêtées, dans lesquelles leur retour était attendu, mais se trouvaient provisoirement en dehors de ces habitations du fait de visites familiales prolongées de plus de six mois.

[38]Dans l’analyse statistique de ces biographies, les taux de mobilité sont calculés à partir des seuls séjours résidentiels comptés dans la Région du Grand Accra. BERTRAND M., DELAUNAY D., 2003, La mobilité résidentielle dans la Région du Grand Accra : différenciations individuelle et géographique. Contribution à la recherche contractuelle « Familles citadines et pratiques résidentielles à l’épreuve de la mobilité : terrains anglophones et francophones en perspective en Afrique de l’Ouest » (FAC Sciences sociales, MAE, CODESRIA), IRD Centre d’Ile-de-France, septembre 2003, 51 p.

[39]BERTRAND M., 1999, « Bamako (Mali) : habitat de cour et mobilités résidentielles », Espace, Populations, Sociétés, n° 1, pp. 119-138.

[40]Soit une mobilité résidentielle excluant les navettes domicile-travail et les déplacements liés à la consommation.

[41]BERTRAND M., DELAUNAY D., 2003, La mobilité résidentielle dans la Région du Grand Accra…, op. cit.

[42]Elle oblige à tenir compte des influences croisées du déroulement biographique et de l’évolution historique. L’analyse statistique des itinéraires montre pourtant un accroissement tendanciel de la mobilité depuis les années 1980, et une courbe en cloche attendue au cours du cycle de vie des individus.

[43]Les membres des ménages restés stables, des voisins, d’autres ménages co-habitants dans les maisonnées d’enquête, etc. 13 % des sorties ne sont pas informées sur le lieu de leur destination.

[44]Bertrand et Delaunay, 2003, op. cit.